Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/437

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’épreuve, nulle prière n’est plus solennelle que celle qui s’échappe de notre cœur désolé pendant qu’une ame aimée s’envole de la terre vers le ciel, et que pour la première fois elle apparaît devant son Créateur. M. Van Amberg se releva.

— Quittez cette chambre, dit-il à ses enfans et à son frère ; je veux rester seul près de ma femme.

On s’éloigna lentement du lit mortuaire ; la porte s’ouvrit et se referma ; Mme Van Amberg morte et son mari restèrent seuls.

Karl Van Amberg, debout près du lit, regarda fixement ce pâle visage, qui avait retrouvé dans le calme de la mort toute la beauté de la jeunesse. Une larme que les souffrances de la vie avaient encore laissée là, une larme que nulle autre ne suivrait, brillait sur la joue glacée de la morte ; un de ses bras était encore penché en dehors du lit, dans le mouvement qu’il fit pour prendre la main de M. Van Amberg ; sa tête inclinée était restée là où elle avait baisé cette main sévère. M. Van Amberg regarda, et son cœur, ce cœur qu’une enveloppe de glace semblait entourer, se brisa enfin.

— Annunciata ! s’écria-t-il, Annunciata !

Il y avait quinze ans que ce nom n’était sorti de la bouche de M. Van Amberg. Il se jeta sur le corps de sa femme ; il la prit dans ses bras ; il baisa son front.

— Annunciata ! dit-il, n’est-ce pas que tu sens ce baiser de paix que je te donne avec amour ? Annunciata, nous avons bien souffert tous les deux ! Dieu ne nous a pas donné de bonheur ! Annunciata, je t’ai aimée depuis le premier jour où je te vis joyeuse enfant en Espagne jusqu’à ce jour affreux où je te presse morte sur mon cœur. Annunciata. que nous avons souffert !

M. Van Amberg pleura.

— Repose en paix, pauvre femme, murmura-t-il, trouve dans le ciel le repos que la terre t’a refusé !

Sa main en tremblant s’approcha des yeux d’Annunciata, il les ferma.

— Maintenant, dit-il, tu ne pleureras plus. Tes yeux sont clos pour le sommeil éternel.

Il prit les mains de sa femme et les rapprocha l’une de l’autre.

— Tes mains, murmura-t-il, se sont souvent jointes pour prier ; qu’elles restent jointes pour toujours !

Puis il s’apprêta à voiler la figure d’Annunciata.

— Aucun regard humain, dit-il, ne verra plus ce front auquel Dieu avait donné la beauté ; le cercueil va se fermer sur cette tête si belle ! Tu retournes à Dieu, Annunciata, ornée encore des dons qu’il t’avait faits ; je te vois pour la dernière fois !

Sa main laissa tomber sur Annunciata le drap qui devait l’ensevelir. Karl Van Amberg s’agenouilla.