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Annunciata branla doucement la tête. Après avoir dit adieu à tous, elle chercha du regard son mari pour lui adresser ses dernières paroles, mais les mots expirèrent sur ses lèvres ; elle le regarda timidement, tristement, puis ferma les yeux comme pour arrêter une larme qui allait s’échapper de sa paupière.

Mme Van Amberg s’affaiblissait visiblement, une grande oppression L’étouffait, et plus elle sentait la mort venir, plus un trouble intérieur, qui n’était pas le regret de la vie, semblait s’emparer d’elle. Elle était résignée sans être calme. Son ame devait souffrir et s’agiter jusqu’à la fin. Elle regardait ses enfans, puis détournait ses yeux humides de pleurs. L’avenir d’une de ses filles rendait amères les dernières minutes de sa vie ; elle n’osait prononcer le nom de Christine, elle n’osait plus implorer pour elle, et cependant mille craintes, mille pensées gonflaient son pauvre cœur. Elle voulait parler, elle voulait se taire. Elle se refusait, à cet instant suprême, la douceur de donner un baiser de plus à la moins heureuse de ses filles ; une douloureuse contrainte la suivait jusqu’au tombeau. Elle mourait comme elle avait vécu, en refoulant ses larmes, en cachant ses pensées. De temps à autre, elle se tournait vers son mari, mais il restait la tête baissée sur sa main ; elle ne pouvait surprendre un regard qui l’encourageât à pleurer tout haut.

Le spasme qui devait briser cette frêle existence allait toujours croissant. Annunciata agonisante murmurait d’une voix inintelligible : — Adieu ! adieu !… — Son regard ne lui obéissait plus ; nul n’aurait pu dire sur qui il cherchait à s’arrêter. Guillaume s’approcha de son frère, et, lui posant la main sur l’épaule : — Karl, lui dit-il à l’oreille de façon que lui seul pût l’entendre, elle expire ! N’as-tu donc rien à dire à cette pauvre créature qui a vécu près de toi, qui a souffert près de toi, mon frère ? Vivante, tu n’avais plus d’amour pour elle ; mais elle se meurt, ne la quitte pas ainsi !… Ne crains-tu pas, Karl, que cette femme opprimée, rudoyée par toi, n’emporte, en s’en allant au ciel, un peu de ressentiment au fond de son cœur ? Demande-lui donc qu’elle te pardonne avant de partir !

Il y eut un instant de silence ; M. Von Amberg resta immobile.

Annunciata, renversée en arrière, semblait déjà ne plus exister. Tout à coup elle fit un mouvement, se souleva péniblement, se pencha vers M. Van Amberg, chercha, en tâtonnant, la main de son mari, et, quand elle l’eut saisie, elle inclina son front sur cette main immobile, la baisa, la baisa de nouveau, et expria dans ce dernier baiser.

— À genoux ! s’écria Guillaume, à genoux ! elle est au ciel ! demandons-lui de prier pour nous.

Et tous se prosternèrent sur la terre ;

De toutes les prières que l’homme adresse à Dieu pendant sa vie