Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/798

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la tristesse empreinte dans chaque ligne n’a rien de factice, rien d’apprêté. C’est le cœur, le cœur seul qui parle, et qui éveille en nous un écho sympathique.

La Bonne Vieille est d’un ordre encore plus élevé. Ici, l’amour n’a plus rien de sensuel ni de frivole. Le poète prévoit sa mort prochaine, et recommande son souvenir à sa maîtresse. Que la vieillesse n’efface pas dans son cœur l’image de son amour ; qu’elle pratique fidèlement jusqu’au dernier jour les leçons qu’il lui a données ; qu’elle enseigne a la jeunesse l’amour de la patrie et lui raconte nos revers et nos victoires ; qu’en attachant des fleurs à son portrait, elle lève les yeux vers le monde où se réunissent pour toujours les ames unies sur la terre d’une sainte affection. Cette pensée d’immortalité donne à la Bonne Vieille une grandeur, une sérénité que je ne me lasse pas d’admirer. Que nous sommes loin de la Bacchante et de Frétillon ! Il n’y a rien dans cette pièce que le goût le plus sévère puisse réprouver. L’espérance d’une éternelle réunion ennoblit l’amant et la maîtresse ; leur mutuelle passion nous inspire un religieux respect.

Entre les chansons satiriques de Béranger, j’en choisis trois qui résument toute la finesse de son talent : le Roi d’Yvetot, le Sénateur et Paillasse. Les deux premières appartiennent vraiment à la comédie. Quand on pense que l’auteur de ces deux pièces charmantes a sérieusement pensé à tenter le théâtre, il est impossible de ne pas regretter la résolution modeste à laquelle il s’est arrêté. Certes, il y a dans le Roi d’Yvetot l’étoffe d’une comédie. Cette chanson, écrite dans les dernières années de l’empire, est une des satires les plus ingénieuses que le pouvoir absolu de Napoléon ait inspirées. Le poète, s’emparant avec bonheur d’une tradition populaire, oppose à la grandeur du colosse impérial la simplicité toute patriarcale du roi d’Yvetot, Il n’y a pas un trait de cette chanson délicieuse qui ne porte coup. La malice se cache sous la bonhomie avec un art si parfait, que les intelligences vulgaires, en lisant cette chanson, peuvent s’étonner de l’admiration unanime qu’elle a excitée. Il semble en effet que rien au monde ne soit plus facile que d’écrire une pareille chanson ; le bon sens le plus trivial paraît en avoir fourni les élémens, et cependant, si l’on veut bien prendre la peine de comparer les couplets dont elle se compose aux événemens accomplis en France et en Europe depuis l’établissement du consulat jusqu’à la campagne de 1812, il est difficile de ne pas admirer la raillerie naïve qui prend corps à corps toute l’histoire de ces années belliqueuses qui condamnaient la pensée au silence et la liberté à l’oubli. Le mérite de cette chanson consiste précisément dans sa simplicité. Chaque parole semble inspirée par la bonhomie la plus inoffensive ; un enfant trouverait ce que le poète a écrit, la foule le croit du moins. Et pourtant chaque couplet renferme un jugement sévère, plein de pénétration