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J’y ai trouvé le compte-rendu d’une séance de l’Académie française signé par un critique fort extraordinaire qui existait dans ce temps-là. C’était une séance de réception. M. Victor Hugo introduisait auprès de l’illustre compagnie l’un des esprits les plus sensés, les plus fins et les plus charmans qu’elle possède. Comme pour faire ressortir davantage l’utilité qu’il y avait à s’adjoindre le récipiendaire, M. Hugo déployait en ce jour tout son propre arsenal, et le critique, « n’ayant pas la grotesque fatuité de croire que l’on pût beaucoup le lire quand le regard était impérieusement attiré par le style aimanté du maître, » le critique avait reproduit tout le discours du poète. Eh bien ! cet unique discours, ces vers épars,

Disjecti membra poetae,


le peu que j’ai sous la main et de l’œuvre et de l’homme me suffira pour soutenir ma thèse et démontrer que d’un bout à l’autre ni l’œuvre ni l’homme n’ont changé.

M. Victor Hugo disait en 1840, dans la préface des Rayons et des Ombres, une « de ces fermes préfaces que tendent tous ces livres comme des boucliers : »

« Des choses immortelles ont été faites de nos jours par de grands et nobles poètes personnellement et directement mêlés aux agitations quotidiennes de la vie politique ; mais, à notre sens, un poète complet que le hasard ou sa volonté aurait mis à l’écart, du moins pour le temps qui lui serait nécessaire, et préservé pendant ce temps de tout contact immédiat avec les gouvernemens et les partis, pourrait faire aussi lui, une grande œuvre. Nul engagement, nulle chaîne… Aucune haine contre le roi dans son affection pour le peuple, aucune injure pour les dynasties régnantes dans ses consolations pour les dynasties tombées, aucun outrage aux races mortes dans sa sympathie pour les rois de l’avenir. Il vivrait dans la nature, il habiterait avec la société. Suivant son inspiration, sans autre but que de penser et de faire penser, il irait voir en ami, à son heure, le printemps dans la prairie, le prince dans son Louvre, le proscrit dans sa prison. Lorsqu’il blâmerait çà et là une loi dans les codes humains, on saurait qu’il passe les nuits et les jours à étudier, dans les choses éternelles, le texte des codes divins. »

Je cite exprès littéralement tout ce passage ; je le considère comme le plus exact spécimen de ce que M. Victor Hugo croit être une direction politique, un ensemble d’opinions. Il est persuadé que l’homme qui remplirait son programme serait l’homme d’état du siècle. Il en est si persuadé, qu’il juge nécessaire de se défendre dans sa modestie « d’avoir songé à lui-même » en retraçant ainsi les conditions auxquelles il comprend la gloire : il est vrai que l’on n’était encore qu’en 1840. Ce qu’il