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et jamais l’éloquence de l’homme contre l’homme n’a été plus loin. Nous admirons la parole enflammée et acérée de M. de Montalembert ; mais nous n’aimons pas le temps qui comporte l’usage d’une pareille parole.

La politique intérieure de la quinzaine roule toute sur la réforme électorale, et la politique extérieure sur notre démêlé, nous ne disons pas avec l’Angleterre, mais avec lord Palmerston.

Nous avons lu avec beaucoup d’attention la note explicative de lord Palmerston, et nous serons justes avec lui. Évidemment il veut s’arranger avec la France. Pourquoi pas en effet ? Le tour est fait. Il est vrai que le tour n’a guère bien réussi, non-seulement auprès de la France, mais auprès de l’Angleterre. L’Angleterre n’aime pas avoir de l’influence par escamotage. Nous avouons, quant à nous, prenant la chose au point de vue de l’art, que le tour a été bien fait, et que pendant la négociation lord Palmerston a dû avoir quelque plaisir en voyant avec quelle facilité nous nous enferrions nous-mêmes. Lord Palmerston, pour nous attraper, n’a en besoin que de deux paroles glissées dans le coin d’une conversation : la première, c’est que, comme il y avait deux négociations, l’une à Athènes et l’autre à Londres, la première qui produirait une convention serait la seule valable. Quoi de plus simple ? Nous avons cru qu’étant les maîtres des deux négociations, celle de Londres et celle d’Athènes, nous n’avions rien à craindre, et nous avons consenti sans peine à cette condition. La seconde parole captieuse de lord Palmerston, c’est que, si le négociateur français à Athènes abandonnait la négociation, vaincu par l’opiniâtreté du ministre anglais, celui-ci serait libre de suivre ses instructions primitives. C’est là qu’était le piège. Nous ne nous sommes pas fait expliquer ce que voulait dire ce mot, abandonner la négociation. Nous avons pensé que proposer un arrangement et demander d’en référer aux gouvernemens, ce n’était point abandonner la négociation, c’était seulement la renvoyer d’Athènes à Londres ; et comme il y avait une négociation à Londres, et que nous nous y sentions plus forts et plus soutenus qu’à Athènes, nous avons cru qu’il était de bonne conduite de ramener la double négociation à une seule. Nous avons parlé dans cet esprit, et, comme on a peu répondu, nous avons cru avoir persuadé. Nous ne nous sommes pas défiés de notre adversaire, et nous ne nous sommes pas non plus assez défiés de nous-mêmes. Nous avons cru parce que nous avons aimé à croire. L’art de lord Palmerston a été au contraire de faire terminer à Athènes, où il était puissant et tranchant, la négociation, et de ne pas la laisser venir à Londres, où il était forcé d’être poli et conciliant. Nous avons eu trop de confiance en la négociation de Londres, qui n’était qu’un paravent pour la négociation d’Athènes, et nous n’avons pas suffisamment averti notre négociateur à Athènes qu’il ne fallait pas qu’il cessât d’entretenir la négociation ; que s’il la suspendait un instant, ou s’il proposait de la renvoyer à Londres, on dirait qu’il l’abandonnait. Plein de confiance donc en cette négociation de Londres dont il espérait un bon dénoûment, M. Gros a proposé de renvoyer les difficultés pendantes à Athènes à la décision des négociateurs de Londres. Dès ce moment, il a été considéré comme ayant abandonné la négociation, et le tour a été fait.

Nous venons de l’expliquer tel que nous le trouvons exposé dans la note de lord Palmerston ; nous venons de dire comment nous avons été trompés. Cette explication excuse-t-elle en quoi que ce soit lord Palmerston ? Loin de là : entre