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ennemis, c’est à peine si les finasseries que nous venons de montrer seraient de mise ; mais, entre amis et alliés, quand nous n’entrons dans l’affaire que par un bon sentiment, sans aucun intérêt, sans aucun calcul personnel, préparer ces petites embuscades, s’applaudir de nous y voir tomber, profiter durement de notre empressement à croire que nous avons tout arrangé et tout concilié, est-ce là un procédé tolérable ? Nous aimons mille fois mieux dans cette affaire avoir été la dupe que le dupeur.

Grace à Dieu, c’est ainsi que le procédé a été jugé en Angleterre et dans toute l’Europe. Il semble même que cette dernière tricherie de lord Palmerston’ ait comblé la mesure depuis long-temps pleine, et que personne en Europe ne veuille plus tenir les cartes avec lui. Non, l’incident grec n’est pas une grande affaire, à Dieu ne plaise que nous voulions le grossir outre mesure ; mais c’est une dernière preuve du peu de sûreté qu’il y a de traiter les affaires avec lord Palmerston, et voilà ce qui fait l’importance européenne de cet incident. Toutes les circonstances de l’affaire grecque, depuis les premières jusqu’à la dernière, se représentent à la pensée de l’Europe. On voit un état faible et sans défense attaqué brutalement par une flotte formidable. Et pourquoi ? Pour la plus misérable cause, pour les réclamations illégitimes et ridicules du juif Pacifico ! Où est le droit des gens, si l’Angleterre se fait ainsi justice à soi-même, sans explication préalable et sans avertissement ? Tout le monde, les forts et les faibles, s’est trouvé atteint par le coup porté à la Grèce. De là la note significative présentée à l’Angleterre par la Russie et par l’Autriche. Dorénavant les sujets anglais, nous nous trompons, les sujets de lord Palmerston ne seront plus admis en Russie et en Autriche qu’à la condition de renoncer à la protection de leur gouvernement. Il faudra qu’ils se dénationalisent, s’ils veulent résider à Vienne ou à Saint-Pétersbourg, à Trieste ou à Odessa. La Russie et l’Autriche ne veulent pas, en effet, que, pour une créance véreuse de je ne sais quel courtier ionien ou maltais, ou même pour je ne sais quelle incartade d’un grand seigneur anglais, une flotte anglaise se présente à l’improviste devant Trieste ou Odessa. Cette mesure, prise par l’Autriche et par la Russie, deviendrait-elle donc peu à peu la loi du continent, et verrions-nous revivre une sorte de blocus continental qui serait, nous n’en doutons pas, fort désagréable dans son application au peuple qui est le plus voyageur du monde, tout en étant en même temps le plus attaché à son pays ? Tout cela peut arriver, si l’Angleterre continue à préférer lord Palmerston à l’amitié du monde.

Ce qu’il y a de curieux en effet dans cette affaire, c’est que personne sur le continent, et la France moins que personne, ne s’en prend à l’Angleterre ; on ne s’en prend qu’à lord Palmerston, et on s’entend pour le mettre au lazaret, son contact étant dangereux. Il serait piquant que l’Angleterre voulût y entrer avec lui.

En 1840, quand lord Palmerston joua un mauvais tour à la France, l’Europe était avec lui contre nous ; en 1850, quand il nous joue encore un mauvais tour, l’Europe est avec nous contre lui. Où tend cette remarque, dira-t-on ? A rien, sinon à croire que nous sommes à notre aise pour ne pas nous presser de renvoyer notre ambassadeur à Londres.