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voulez être des nôtres, n’est-ce pas ? combattre pour notre liberté ? » me dit-il en remuant cet or. Je compris ce geste. « Monsieur, lui dis-je, je suis d’une noble famille et officier de l’empereur ; je ne connais que mon devoir. — Eh bien ! me dit-il d’un ton ironique, comme vous voudrez ; en attendant, on vous gardera ici. »

Il était trop tard pour que les dépêches que je devais remettre au comte Zichy pussent être de quelque utilité ; cependant, espérant quelque chance favorable, j’avais la ferme volonté de parvenir du moins à lui parler, peu m’importait ce qui arriverait ensuite. Pour atteindre ce but, je dis à M. Manin : « Monsieur, j’ignorais que la république fût proclamée à Venise, et j’y suis venu en me rendant à Vérone pour rejoindre mon régiment. Puisque, je suis retenu ici prisonnier, permettez du moins que je parle au général Zichy ; son témoignage me sauvera plus tard, car, si l’on ne me voit pas revenir, on croira que j’ai abandonné mon drapeau ou passé à l’ennemi : vous connaissez les lois militaires, je serai cassé. — Qu’à cela ne tienne, me dit-il. Il sonna ; un aide-de-camp parut, et il lui dit quelques mots. Cet officier me conduisit au palais du gouvernement, sur la place Saint-Marc, et me laissa dans une salle où une trentaine de jeunes gens étaient réunis ; l’un d’eux s’avança vers moi pour attacher une cocarde à mon habit ; je repoussai sa main. « Vous êtes notre prisonnier, prenez garde, me dit-il pour m’effrayer ; ce matin, le peuple a massacré deux de vos officiers et le chef de l’arsenal. » Ils se rapprochèrent de moi, l’un d’eux arracha le gland de mon porte-épée, un autre m’enleva ma casquette, et coupa avec son poignard la rose et le galon ; la défense était impossible. « Messieurs ! messieurs ! » leur cria l’officier en rentrant et d’un ton de reproche. Il me prit par le bras, me fit sortir de la salle et me mena au comte Zichy. J’avais roulé mes dépêches dans ma manche, espérant pouvoir les lui remettre en secret ; mais, comme j’étais observé par ses gardes, je lui dis qu’on me retenait prisonnier et plusieurs autres choses afin de gagner du temps. Ensuite, appuyant le bras sur le bois de son lit, je cherchai des yeux son regard afin de le guider vers le geste que j’allais faire pour laisser tomber les dépêches ; mais il était trop affaissé, trop abattu pour me comprendre. Craignant de voir mes dépêches prises par les Italiens qui étaient dans la chambre, je n’osai les laisser tomber sur le lit. On me ramena dans la salle ; un moment après, un jeune homme entra tout effaré et cria : « Les Croates ne veulent pas accepter la capitulation ; ils ne veulent pas déposer les armes, et disent que si on les attaque, ils vont mettre le feu à la ville et faire sauter le magasin à poudre. — Bah ! bah ! » répondit un homme à mauvaise figure. Puis cet homme s’assit, griffonna quelques lignes et sortit : « Voici, dit-il en rentrant au bout de quelques minutes et agitant un papier d’un air triomphant, voici l’ordre aux Croates de