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que Dieu, en les soumettant aux plus terribles épreuves, les prédestinait par d’intolérables douleurs aux oies de l’éternité ; on les appelait les vénérables frères infirmes, on pourvoyait attentivement à tous leurs besoins, et la chevalerie elle-même les avait réhabilités en créant l’ordre de Saint-Lazare,qui devait dans l’origine avoir un lépreux pour grand-maître. L’histoire de la lèpre a été souvent étudiée par les érudits modernes, mais personne peut-être jusqu’ici n’avait saisi avec autant de justesse que M. Langlois ce qu’on pourrait appeler le caractère mystique de cette maladie terrible, et le sens profond des rites solennels dont on entourait, en les isolant des hommes, les malheureux qui en étaient atteints.

Les derniers chapitres du livre de M. Langlois sont consacrés à l’histoire littéraire du prieuré du Mont-aux-Malades. La même loi qui imposait aux religieux de cette maison la pratique incessante de la charité leur imposait aussi le travail. « L’oisiveté, disent les statuts, pernicieuse à tous les hommes, est non-seulement pernicieuse, mais encore odieuse et abominable dans un chanoine régulier, obligé d’apprendre tant de choses et de les enseigner aux autres. Qui ne sait que la vie humaine est trop courte pour suffire à notre instruction » ? Pénétrés de la vérité de cette maxime, les pieux habitans du prieuré s’efforcèrent à toutes les époques de la mettre en pratique, et M. Langlois suit en détail leurs travaux littéraires depuis l’origine jusqu’à l’époque moderne. Les appréciations critiques sont mêlées dans une juste mesure aux notions biographiques, et, parmi les noms qu’il cite avec de curieux détails, nous avons remarqué celui d’Antoine Corneille, religieux du Mont-aux-Malades et troisième frère de l’auteur du Cid. Antoine Corneille, qui remporta plusieurs prix aux concours de l’Immaculée Conception de Rouen, rappelle dans quelques-uns de ses vers, qui sont peu nombreux du reste, la manière large et sévère de son illustre aîné, et si la religion ne l’avait enlevé aux lettres, on dirait peut-être aujourd’hui les trois Corneille. Malgré la spécialité restreinte du sujet, le livre de M. Langlois touche à bien des questions. On peut y puiser de très utiles enseignemens, et si l’auteur s’est égaré quelquefois dans le domaine de l’histoire générale, s’il a insisté un peu longuement sur des détails connus ou d’un intérêt très secondaire, on ne peut que donner des éloges à l’exactitude de ses recherches, à l’impartialité de sa critique.

L’histoire ecclésiastique considérée dans ses rapports avec l’histoire des mœurs a aussi fourni à M. de Formeville, secrétaire de la Société des Antiquaires de Normandie, le sujet de publications intéressantes. M. Delisle, l’auteur des Études sur l’agriculture normande, avait signalé, dans un curieux travail intitulé Des Monumens paléographiques relatifs à l’usage de prier pour les morts, les rouleaux funéraires sur lesquels on inscrivait dans les couvens les noms des personnes mortes pour les recommander aux prières des fidèles. À la suite d’un rapport intéressant sur le travail de M. Delisle, M. de Formeville a publié, soit in extenso, soit par extraits, quelques-uns de ces rouleaux, qui remontent au commencement du XIIe siècle, et particulièrement ceux qui concernent saint Bruno, fondateur des chartreux, Mathilde, fille de Guillaume-le-Conquérant, et le bienheureux Vital, fondateur de l’abbaye de Savigny. Composés de feuilles de parchemin en nombre indéfini, les rouleaux funéraires étaient tantôt perpétuels, tantôt annuels, tantôt individuels ; les premiers, déposés