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REVUE DES DEUX MONDES.

plaisir à s’écouter. M. de Balzac, malgré la richesse de son imagination, n’a pas été heureux dans sa lutte avec l’adversaire de Goëzman. Les admirateurs de Beaumarchais auront beau dire, le style du Mariage de Figaro est plutôt le style de la satyre que le style de la comédie. Le dialogue ainsi conçu ressemble au jeu de paume : les personnages, armés d’une raquette, se renvoient l’épigramme, et l’auditoire, tout en applaudissant à la prestesse de leurs mouvemens comprend qu’il n’a pas devant les, yeux des personnages tirés de la vie commune. Quelle différence entre Beaumarchais et Molière ! comme le style du Bourgeois gentilhomme, du Médecin malgré lui domine le style du Mariage de Figaro ! Dans Molière, tout est simple et naturel ; tous les personnages parlent une langue que chacun de nous croit pouvoir parler : l’admiration est d’autant plus vive, que rien n’excite notre étonnement. Sganarelle et Jourdain nous charment d’autant plus sûrement, que leur parole n’a jamais rien qui sente le bel esprit : l’auteur s’efface, et disparaît tout entier derrière le personnage. Avec Beaumarchais, cette proposition se trouve renversée : le personnage disparaît, et l’auteur se montre seul, dans toute la splendeur, dans tout la splendeur, dans tout l’orgueil de son ironie. Quoique M. de Balzac ne fût pas animé d’une passion bien vive pour la simplicité, je crois cependant qu’il n’eût pas tardé à comprendre l’intervalle immense qui sépare Molière de Beaumarchais : il avait trop de finesse et de sagacité pour ne pas deviner les conditions du dialogue dramatique. Le lecteur peut se montrez indulgent pour les idées, pour les sentimens qui ne sont pas exprimés avec une parfaite franchise ; le spectateur est toujours plus sévère : il oublie, il veut oublier l’auteur, et demande aux personnages qu’il a devant les yeux un langage rapide et naïf ; il exige qu’ils parlent comme tout le monde, et tout le monde croit parler comme Molière, parce que Molière, comme La Fontaine, n’affiche jamais la prétention d’être spirituel. M. de Balzac, qui, après avoir écrit plusieurs milliers de pages, n’avait pas encore rencontré la clarté familière aux écrivains du XVIIe siècle, n’eût pas manqué de faire un retour sur lui-même en voyant l’hésitation ou la fatigue de l’auditoire ; l’expérience du théâtre pouvait, en ce sens, lui être utile, et l’eût amené peut-être à préférer le style simple et transparent de Molière au style obstinément spirituel de Beaumarchais.


GUSTAVE PLANCHE.



V. de Mars.