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Un des épisodes les plus curieux peut-être de la vie de Jasmin et où apparaît le mieux cette poésie en action dont nous parlions, c’est la part prise par le poète à l’érection de l’église de Vergt. Au fond du Périgord, un pauvre prêtre voit son église nue, lézardée, tomber en ruines et s’affaisser au moindre souffle du vent. L’idée lui vient d’aller trouver l’auteur de l’Aveugle, — et prêtre et troubadour partent ensemble comme s’ils s’étaient toujours connus ; ils vont de ville en ville recueillant pour relever la maison du bon Dieu. L’église est d’abord remise sur pied ; mais voici qu’en s’élevant elle chancelle sur ses fondemens, voici que les ressources manquent pour la couvrir, et à chaque incident prêtre et troubadour recommencent leur pèlerinage, et à chaque halte ce sont des inspirations nouvelles. De là tout un touchant et frais poème dont la pensée première fait l’unité, et dont les chants divers sont : Le Prêtre et le Troubadour, le Prêtre sans église, l’Église qui tremble, l’Église découverte. Ce n’est point que l’aimable rapsode s’aille croire semblable à ce Grec fameux qui bâtissait des villes avec ses chants. « Non, dit-il par un noble et émouvant retour sur lui-même, quand je verrai monter tuiles et chevrons, mon ame sentira quelque chose de plus doux. Je me dirai : J’étais nu ; l’église, je m’en souviens, m’a vêtu bien souvent pendant que j’étais petit. Homme, je la trouve nue, à mon tour je la couvre. Oh ! donnez, donnez tous, que je goûte la douceur de faire pour elle une fois ce qu’elle a tant fait pour moi… » Un simple et droit instinct religieux anime cet épisode de la vie de Jasmin et y circule. Le poète, à cette occasion, n’a garde de se faire le prophète de quelque religion nouvelle, de chercher à substituer à un sentiment pratique, qui a sa poésie propre, quelqu’une de ces aspirations ambitieuses qui sont un leurre de religion et de poésie en même temps. Non, ce qui le guide, c’est un instinct d’accord avec celui qui vit dans l’ame du peuple des campagnes, et il a trop de tact pour le dénaturer. Ce n’est point pour le savant, hélas ! que les églises ont un charme mystérieux ; le savant les traverse en souriant, recherchant le travail de l’homme, l’arche au large cintre, les peintures qui décorent les murs. Le peuple, « dont l’esprit ne gâte pas la raison, » croit à son église ; il ne voit qu’elle et le bon Dieu qui y demeure ; il l’aime pour elle-même, et c’est surtout pour celui qui croit que le prêtre fait sagement de l’orner… « Pour s’adresser au savant, le prêtre a sa tribune nue, dit le poète,… mais, pour tenir le peuple à son devoir fidèle, il lui touche l’ame en flattant l’œil, car le peuple, qui sent la pompe du dehors, a besoin que la maison où le bon Dieu demeure représente au moins à son oeil la grande chapelle du ciel… » Ainsi parle cet honnête esprit se rapprochant sans cesse du vrai et en faisant jaillir une poésie naturelle et juste qui ne défigure aucun sentiment. Et finalement, après s’être faite architecte, la muse populaire avait bien le droit d’assister, en fille