Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mêmes motifs à peu près, bien que son Esclave grecque, faite en Italie aussi bien que les statues de Thorwaldsen, leur soit supérieure, tout en les rappelant beaucoup. J’en demande bien pardon aux enthousiastes, et je ne prétends pas imposer mon jugement, mais je souhaite, à part moi, que M. Hiram Powers ne fasse pas école à Boston, comme Thorwaldsen à Copenhague. Les Américains et les Danois ont accompli de grandes choses en ce monde ; pour Dieu, qu’ils laissent en paix les arts ! Quant à la Suède, n’en disons rien ; il ne faut pas médire des absens. Elle pouvait envoyer ses cuivres de Roraas, ses fers admirables ; elle a préféré le vide. L’espace qui lui est réservé est aussi désert que les forêts de Norvège. Là, prétend-on, se donnent maintenant à Londres les rendez-vous mystérieux ; c’est l’endroit le moins fréquenté d’Angleterre. — Allons à l’exposition de Suède, se dit-on à l’oreille, personne ne nous y dérangera.

De la Suède à l’Italie, la distance est longue, mais j’aime les contrastes. Sous le rapport industriel d’ailleurs, la différence n’est pas si considérable qu’on pourrait le croire. L’Italie, comme la Grèce, rêve à son passé ; elle en a bien le droit ; que ce soit pour le présent son excuse. Voici bien en marbre vert une petite réduction du Laocoon, une copie du Gladiateur mourant de Costoli, des mosaïques de Florence, des vases d’albâtre d’un goût douteux, de l’ébénisterie assez belle, des chapeaux de paille très fins et un gros bloc d’alun de Civita-Vecchia ; mais d’industrie proprement dite, il semble n’en être question qu’en Sardaigne. Gênes a envoyé de beaux tapis, des dentelles et des marqueteries remarquables, des soies, même des pâtes et des confetti. Tout cela est fort honorable sans être très exceptionnel. Songeons aux trois années, aux trois siècles de fer qui ont écrasé ce pays, jadis béni du ciel ; souhaitons-lui un meilleur avenir, et passons.

La Suisse est remarquable à plus d’un titre, mais voilà l’Espagne : parlons-en à notre aise. Celle-là n’a que faire de nos voeux, elle se relève d’elle-même, et pour qui l’aime, cette nation chevaleresque, c’est un beau spectacle qui fait battre le cœur. Il en est de l’Espagne, ce pays aux nuances franchement accusées, comme des gens à grand caractère. Elle ne comporte pas une affection froide, une banale sympathie : on l’adore, ou elle déplaît. Dieu merci, je suis de ceux qui l’aident avec passion, et cependant l’Espagne, c’est l’antipode de la Chine. Vous figurez-vous mon Chinois traversant les landes incultes de Castille ? Il ne manquerait pas de dire que tous les habitans sont fous, s’ils ne sont pas morts. Imaginez-vous don Quichotte chevauchant dans les rizières de la Chine et se trouvant face à face avec un mandarin ? Ici la raison absolue, là le roman dans son acception la plus élevée ; d’un côté les calculs de l’esprit, de l’autre les emportemens du cœur, la philosophie méditative et la noble folie, Confucius et Cervantes. J’ai parlé