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de la sagesse chinoise et des grandeurs de la paix ; voici maintenant que l’Espagne me séduit, et, si je ne craignais de me contredire, je ferais l’apologie du clairon et des tournois. Certes, l’ordre est une belle chose, mais n’est-ce rien que la gloire ? Faut-il compter pour peu l’attrait du péril, l’ivresse des combats, et, de toutes les épées qui étincellent, faire des balances dans les comptoirs ? L’honneur et l’amour ne s’escomptent pas à la bourse, et pourtant qui consentirait à vivre en ce monde sans l’amour et l’honneur ? Ah ! c’était un beau temps que celui des coups de lance, des chevaliers, des châtelaines, des écharpes défendues jusqu’au dernier soupir ! « Dieu et ma dame ! » c’était un beau cri. O siècles de l’héroïsme et de la passion, de la noblesse et des combats, des cimiers d’or et des chevaux bardés de fer, jours de poésie où les femmes régnaient, où l’on vivait pour les aimer, où l’on mourait pour un sourire ; temps à jamais disparus, on vous adorera toujours, et, si loin que le courant de l’utilitaire nous entraîne, malheur à ceux qui pourraient songer à vous sans qu’au fond de leur cœur bondisse l’étincelle de la jeunesse ! Si nous aimons l’Espagne, il ne faut pas s’y méprendre, c’est que l’Espagne a gardé plus qu’aucun autre pays le culte de l’amour et de l’honneur. À travers ses malheurs, elle est restée fidèle aux traditions du passé ; on y retrouve partout l’enivrante senteur de la poésie d’autrefois. Regardez son exposition à Londres, dont je m’éloigne avec trop peu de façon ; vous y verrez son image. Ainsi que M. Cuvier refaisait avec un os d’un animal quelconque l’animal tout entier, de même, comme on le disait dernièrement à la tribune, en examinant les produits d’un pays, on peut refaire la nation tout entière. Les Espagnols aiment Dieu, les femmes, la gloire ; qu’ont-ils exposé surtout ? Des vases sacrés, des bijoux et des épées. La ferveur catholique, le respect de l’amour, l’enthousiasme chevaleresque, l’église, le boudoir et le cirque, tout est là. Les ostensoirs et les croix en vermeil incrustés de pierreries, de la fabrique de Morcatilla de Madrid, sont d’un beau travail, un peu trop surchargés d’ornemens ; à mon goût, la profusion des détails nuit à l’élégance de l’ensemble, mais une correcte simplicité n’est pas ce qui plaît le mieux aux Espagnols, et l’on retrouverait aisément les modèles de cette orfèvrerie dans les sculptures sur bois, inextricables et si précieusement fouillées, de Séville et de Burgos. Quant aux armes damasquinées de Eusebio Zuloaga, elles sont fort belles, et les épées de Tolède, souples comme des baleines, enroulées dans leurs fourreaux arrondis en forme de couleuvres, semblent admirables. Lorsque vous les tirez de la gaîne où elles dorment en cercle, elles se redressent en tremblant comme des reptiles en fureur. Il faudrait écrire sur ces lames, comme les Andalous sur leurs navajas : Si este bibora te pica, no ha remedio en la boteca (si cette vipère te pique, il n’y a pas de remède à la pharmacie). Tout le