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30 degrés tracé de la pointe sud-est de l'île de Jersey avec un rayon de 30 kilomètres. Le cap avance sa base rocheuse jusqu’au sein des flots, qui la blanchissent constamment de leur écume ; il porte sur sa crête, à 95 mètres au-dessus de la haute mer, un feu tournant à éclipses se succédant de demi-minute en demi-minute. L’aire du phare s’étend sur les dédales d’écueils des Dirouilles, des Écrehoux, et sur la moitié des côtes de Jersey ; ses rayons se croisent au sud-est avec ceux du phare de Chausey, au nord avec ceux du phare de la Hague, l’un varié par des éclats, l’autre fixe, en sorte que, dans la périlleuse navigation du passage de la Déroute, les bâtimens sont toujours pilotés par un et souvent par deux de ces feux.

Sous le revers méridional du cap s’ouvre le havre de Carteret ; à quatre milles au sud est celui de Port-Bail. Formés, l’un par la petite rivière de Gerfleur, l’autre par la Grise, un peu moins faible, ils sont trop semblables et trop rapprochés pour que chacun ait une utilité spéciale. Le havre de Carteret n’est accessible que pendant une heure à la haute mer ; celui de Port-Bail, beaucoup moins ensablé, l’est pendant deux heures. Il est, selon M. Givry, dont les excellentes Instructions nautiques sur cette côte sont à la veille d’être publiées, le moins mauvais qui existe de Granville à la Hague. Le voisinage des meilleurs herbages du Cotentin a récemment fait apparaître à Port-Bail un commerce tout-à-fait inattendu. La race des bêtes à cornes de Jersey passe à Jersey pour la première du monde entier, et de vieux règlemens fondés sur une croyance si flatteuse interdisent, de peur des mésalliances, l’accès de l’île à tout animal susceptible de se reproduire. À certains jours, les eaux de la baie de Saint-Hélier sont marbrées de longues taches sanglantes, comme si quelque affreux combat venait de s’y livrer. Qu’on se rassure : le sang versé est celui de veaux qui ne pouvaient pas toucher vivans ce rivage, et, comme des vaches seraient gênantes à massacrer à bord, on a tenté d’établir à Port-Bail un abattoir d’où leur viande dépecée se transporterait à Jersey. Les mécomptes inséparables d’une première tentative ont suspendu celle-ci ; mais un ajournement n’est pas un abandon. Port-Bail est d’ailleurs situé sur la ligne la plus courte de Paris à Jersey, et c’est le point de la côte occidentale du département de la Manche dont se rapprochera le plus le futur chemin de fer de Cherbourg. Cette circonstance en fera peut-être un jour le principal marché d’huîtres de ces parages. Il y a donc grand compte à tenir des avertissemens donnés par les ingénieurs hydrographes de la marine sur la destruction dont cet atterrage est menacé par les assauts que livrent la mer et les vents aux dunes qui le protègent du côté du large. Le boisement est le préservatif de ce danger, et il ne serait pas ici nécessaire de l’étendre à plus d’une centaine d’hectares. J’ose à peine dire, tant la proposition peut paraître