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humain pour les rallier, il s’élança dans la mêlée à la recherche du comte d’Afrique, et, l’ayant aperçu qui combattait au premier rang des siens et le cherchait peut-être lui-même, il courut à toute bride sur lui. Leurs armes se croisèrent, et Bonifacius, atteint au flanc par la pique d’Aëtius, chancela et tomba de cheval, tandis que son ennemi, avec autant de bonheur que d’audace, s’échappait sain et sauf du champ de bataille. La blessure du patrice était sans remède ; il resta trois mois entiers entre la vie et la mort, pour succomber à la fin. Durant les longues méditations de la maladie, en face de ses propres fautes et de la catastrophe qui en semblait une expiation fatale, il apprit à pardonner les fautes d’autrui ; non-seulement il dépouilla toute haine contre celui qui le tuait, mais on assure qu’en mourant il conseillait à sa femme d’épouser Aëtius, si jamais elle voulait se remarier et qu’il fût libre, cet homme étant le seul Romain digne d’elle : miracle d’abnégation fort étrange assurément, et qui pourtant ne fut pas sans exemple parmi les paladins de la chevalerie.


III

Aëtius cependant courait de retraite en retraite, toujours suivi, toujours découvert ; il se cacha d’abord dans un domaine qu’il possédait en Italie, puis dans une maison de Rome, puis en Dalmatie, d’où il gagna la vallée du Danube et le pays des Huns, ses vieux amis. Roua l’accueillit bien ; il fit plus, il lui offrit de le ramener en Italie à la tête d’une armée, et le comte Aëtius n’était pas homme à repousser une pareille proposition. On le vit donc reparaître subitement au midi des Alpes, avec une nuée de nomades féroces qui semaient l’épouvante devant eux. La régente, comme on le pense bien, épuisa contre ce nouveau danger tous ses moyens de défense : la direction de la guerre fut confiée au gendre du défunt comte d’Afrique, Sébastianus, qui lui-même ne manquait point de mérite ; par malheur, les troupes étaient divisées, et les anciens soldats d’Aëtius revinrent à leur général. Placidie eut alors l’idée de s’adresser aux Visigoths de la Gaule ; mais Aëtius possédait l’art de déconcerter ses ennemis par son activité : on commençait à peine à négocier avec les Goths, que déjà il menaçait Ravenne et que la régente lui restituait toutes ses dignités en y ajoutant encore celle de patrice. Sébastianus, plus obstiné, passa d’Occident en Orient et d’Orient en Occident, quêtant partout des ennemis contre Aëtius, et refusé par tout le monde. En désespoir de cause, il se fit pirate ; puis il se rabattit sur l’Afrique, où il excita les Vandales à se jeter sur l’Italie. Genséric, en homme prudent qui craint un piège, l’engagea d’abord à se faire arien pour bien prouver la sincérité de ses