Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/311

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

promesses ; là-dessus, Sébastianus s’étant récrié avec indignation, il le fit tuer comme espion et traître. Siècle bizarre où l’on courait sans scrupule les terres et les mers pour attirer la destruction sur son pays, et où l’on se faisait martyriser pour sa foi !

Toute illusion était désormais impossible : l’empereur et l’empire avaient un maître qui vit bientôt pleuvoir autour de lui les adulations, les consulats, les titres, les apothéoses en prose et en vers, accompagnemens ordinaires de la souveraineté de fait. Aëtius eut son palais au Quirinal, ses poètes au forum de Trajan, son peuple enthousiaste, son sénat dévoué, tous les triomphes de Stilicon, en attendant sa chute. Les derniers beaux vers de la muse romaine étaient venus s’exhaler en hommage aux pieds d’un Vandale ; par un progrès qui dénotait le mélange de plus en plus rapide des races, le Scythe Aëtius eut pour chantre un Germain, un noble frank, Mérobaude, qui avait ajouté à ce nom illustre chez les siens le prénom latin de Flavius. À l’instar des scaldes de sa patrie d’origine, Mérobaude était soldat et poète : quand il avait bien combattu sous les aigles, il prenait la lyre de Claudien et venait chanter sur le forum de Trajan la gloire de Rome et l’éternité des césars, aux applaudissemens de l’Italie entière et à la honte des poètes romains, qu’il dépassait tous en mérite. Ce petit-fils d’Arminius, couronné du laurier de Virgile, n’est pas la figure la moins originale de ce siècle de transition. Il célébra si dignement, en 446, le troisième consulat d’Aëtius, que l’empereur et sa mère voulurent qu’il eût sa statue de bronze, à côté de celle de Claudien, sur la place consacrée aux poètes célèbres. Une fouille heureuse, pratiquée en 1813 dans l’emplacement du forum Ulpien, a fait retrouver cette statue ainsi que l’inscription du piédestal, où Mérobaude est qualifié « homme d’antique noblesse et de gloire nouvelle, également docte et vaillant, et non moins propre à faire lui-même des actions louables qu’à louer les actions des autres. » L’inscription ajoute que « la Muse le visitait au milieu du fracas des armes, dans les batailles, dans les marches à travers les Alpes glacées, et que ses louanges ont ajouté à la grandeur de l’empire invincible[1]. » Un second hasard, non moins heureux que le premier, nous permet d’apprécier aujourd’hui la justesse de ces éloges. Des fragmens assez étendus des vers et de la prose de Mérobaude ont été découverts en 1823 sur un manuscrit palimpseste de la bibliothèque de Saint-Gall. Ce qui frappe le plus dans ce premier des poètes latins barbares, c’est la correction de son langage et l’élégance recherchée de sa versification. Rien n’y rappelle l’âpre saveur du terroir

  1. Remunerantes in viro antiquae nobilitatis, novae gloriae, vel industriam militarem, vel carmen… cujus prœconio gloria triumphali crevit imperio. — Merobaud. Carm. ed. Niebuhr. Proef.