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bataille de la Hougue, il a souvent servi de refuge à des navires poursuivis et de station aux gardes-côtes ; mais il a beaucoup perdu de son importance militaire depuis la fondation de l’établissement de Cherbourg. Lorsqu’il fut achevé en 1732, la montée de l’eau y était, aux marées des équinoxes, de 7 mètres ; elle n’est plus aujourd’hui que de 5,30. Cet exhaussement du fond vient de l’incurie avec laquelle l’administration laisse les extracteurs des granits de Flamanville dégrossir dans le port même les pierres de taille qu’ils y chargent et en accumuler sur place les débris. Cet abus se maintient, et, quand il faudra réparer le dommage qu’il cause, on saura ce que coûte la tolérance coupable dont il est l’objet. Une bande de 2,173 hectares de mielles à mettre en culture se développe sur le pourtour de l’anse ; mais ce que le voisinage de Cherbourg peut ajouter ici à la valeur des terres est neutralisé par l’éloignement de la tangue.

Des hauteurs du Nez de Jobourg, le terrain s’abaisse sans interruption jusqu’au cap de la Hague. Ce cap étroit sépare de l’atterrage de Cherbourg celui dont nous venons de parcourir les bords. Un phare jeté sur une roche isolée au milieu des flots signale ce point avancé de la côte de France ; il éclaire Cherbourg à l’est, Carteret au sud, et au large l’île d’Aurigny.

Un grand spectacle se déploie en vue du cap de la Hague, lorsque, s’élevant après une longue persistance des vents d’aval, les vents de nord-est poussent en masse vers cette pointe de la côte de Normandie les nombreux navires qui les attendaient dans les ports de la Manche ; mais malheur à ceux qui, faute d’avoir su régler leur marche, se trouvent à l’heure du jusant à portée de l’attraction du raz Blanchart, et sont entraînés dans ce courant irrésistible ! ils auront peine à s’en relever. Le raz Blanchart est ce passage de 18 kilomètres de largeur qui est compris entre le cap de la Hague et l’île d’Aurigny ; les marées s’y précipitent alternativement du sud et du nord avec une violence dont l’immensité de l’Océan présente peu d’exemples. Ces courans, dont la vitesse va jusqu’à 20 kilomètres à l’heure, s’animent, se ralentissent, s’apaisent, se renversent pour s’accélérer de nouveau, chaque jour à des heures différentes, suivant l’âge de la lune. C’est peu que les accidens de la côte et les lignes d’écueils dont cette mer est semée les affectent à chaque pas ; les caprices des vents trompent à chaque instant les calculs du navigateur, et leur régularité ne le sert pas toujours beaucoup mieux ; le vent qui souffle dans le sens des courans leur est contraire aussitôt qu’ils se retournent, et, s’il fraîchit, la mer devient affreuse. Dès que le conflit atteint un certain degré de violence, des vagues monstrueuses s’entre-choquent dans un tumulte impossible à décrire ; l’escarpement des lames semble braver toutes les lois de l’hydrostatique ; on dirait qu’un enfer sous-marin déchaîné soulève des montagnes d’eau et creuse