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« De Montreuil-Bellay, ce 25e octobre (1653).

« (Mandés-moi promptement quand vous aurés receu cette lettre car j’en seray en peine).

« Je n’ay receu[1] aucune de vos lettres despuis nostre desplorable séparation que celle du 12e de ce mois qu’on me vient de rendre. J’accepte avec joie l’offre que vous me faittes par elle de m’informer de nouvelles de vos quartiers, qui sont tousjours les seules qui me touchent le cœur, n’ayant nul véritable atachement que celuy que j’ay pour M. mon frère. Je seray trop heureuse s’il en est persuadé, ce qui j’espère de sa justice. Je pense qu’il a esté informé du commencement de ma conduite despuis mon départ de Bourdeaux, et qu’il sçait qui je n’ay point envoié à la cour pour demander l’amnistie. Aussy ne me l’a-t-elle pas donnée jusqu’icy, quoy que M. de Longueville ait peu faire. Néantmoins ce dernier m’a envoié despuis huit jours une lettre dont vous trouverés la copie avec celle-cy, que M. LeTelier[2]escrivoit à La Croisette[3] pour responce à une que ledit La Croisette lui avoir escrite pour mon amnistie. M. de Longueville en me l’envoiant me mande qu’il est nécessaire pour ses intérets que j’envoie et que j’escrive à la cour, c’est-à-dire au roy, à la reine et au cardinal. Mais comme je veux faire mon devoir jusqu’au bout, et conserver mesme le bonheur que j’ay eu de n’estre pas soubçonnée par mes propres ennemis d’y avoir manqué, j’ay escrit à M. de Longueville pour le suplier de trouver bon que je n’envoiasse point un des miens à la cour, puisque je n’en désirois rien, tant que M. mon frère seroit en l’estat on il est, que ce qui seroit nécessaire aux intérests de M. de Longueville ; qu’ainsy puisqu’il en devoit être juge, la chose ne regardant que luy, il estoit juste que luy seul la ménageât, que je lui envoierois donc mes lettres ouvertes, puisque cela luy estoit nécessaire, mais que je le supliois que ce fût un des siens qui les portât, afin qu’un visage à moy ne parût point en un lieu où je ne pouvois avoir aucun commerce ; que je luy demandois ausi de n’envoier point ma lettre au cardinal sy cela n’estoit entièrement utile pour luy. Voilà tout ce que j’ay peu mesnager. Je vous envoie les lettres que j’ay escrites afin que vous jeugiés sy celle du cardinal pouvoit estre plus mesurée. M. de Longueville a envoié les unes et les autres par La Croisette, qui a charge de demander de sa part mon amnistie. Je ne sçay point encore le succès de ce volage après lequel je sçauray si je passeray mon hiver icy ou en Normandie ou à la cour. Le prince de Conty et Mlle de Longueville ne me souhaittent que médiocrement. J’espère néantmoins que les efforts qu’ils font

  1. Papiers de Lenet, t. X.
  2. Secrétaire d’état, depuis chancelier de France.
  3. Gouverneur de Caen. Mme de Motteville, t. IV, p. 95.