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son cœur, on ne le change pas en un jour : il saigne long-temps avant que les images du passé en sortent et y laissent entrer la paix. Les passions avaient suivi Mme de Longueville jusque dans le saint asile des filles de Sainte-Marie. Elle n’avait pas interrompu ses profanes correspondances ; elle souffrait qu’on lui écrivît sur ce qui se passait à Paris sur ce que faisaient et disaient ses ennemis, surtout sa rivale victorieuse, Mme de Châtillon, qui, de concert avec La Rochefoucauld, travaillait à la perdre dans l’esprit du prince de Condé. Nous avons d’elle une lettre écrite, en 1654, à une des dames d’honneur de Mademoiselle où son ame paraît bien peu dégagée encore des sentimens qui l’avaient autrefois remplie. Son langage sur Mme de Châtillon est d’une aigreur qui trahit la rancune de la femme humiliée. Elle donne le conseil assez peu charitable d’éclairer son frère sur les menées de sa maîtresse[1].

  1. Sur Mme de Châtillon, ses manœuvres entre Condé et Nemours, et ses intelligence intéressées avec la cour, voyez Lenet, t. Ier, p. 66, p. 119-124, t. II, p. 520-523, et surtout ce passage de La Rochefoucauld qui justifie entièrement Mme de Longueville : « Mme de Châtillon lui (à Condé) fit naître le désir de la paix par des moyens fort agréables. Elle crut qu’un si grand bien devoit être l’ouvrage de sa beauté, et mêlant de l’ambition avec le dessein de faire une nouvelle conquête, elle voulut en même temps triompher du cœur de M. le Prince et tirer de la cour tous les avantages de la négociation. Ces raisons-là ne furent pas les seules qui lui donnèrent ces pensées : il y avoit un intérêt de vanité et de vengeance qui y eut autant de part que le reste. L’émulation que la beauté et la galanterie produisent souvent parmi les dames avoit causé une aigreur extrême entre Mme de Longueville et Mme de Châtillon ; elles avoient long-temps caché leurs sentiments ; mais enfin ils parurent avec éclat de part et d’autre, et Mme de Châtillon ne borna pas seulement sa victoire à obliger M. de Nemours de rompre, par des circonstances très piquantes et très publiques, tout le commerce qu’il avoit avec Mme de Longueville, elle voulut encore lui ôter la connoissance des affaires et disposer seule de la conduite et des intérêts de M. le Prince. Le duc de Nemours, qui avoit beaucoup d’engagemens avec elle, approuva ce dessein et crut que, pouvant régler la conduite de Mme de Châtillon vers M. le Prince, elle lui inspireroit les sentiments qu’il lui voudroit donner, et qu’ainsi il disposeroit de l’esprit de M. le Prince par le pouvoir qu’il avoit sur celui de Mme de Châtillon. Le duc de La Rochefoucauld, de son côté, avoit lors plus de part que personne à la confiance de M. le Prince, et se trouvoit en même temps dans une liaison très étroite avec le duc de Nemours et Mme de Châtillon (p. 229)… Il porta M. le Prince à s’engager avec elle et à lui donner Merlou en propre ; il la disposa aussi à ménager M. le Prince et M. de Nemours, en sorte qu’elle les conservât tous deux, et fit approuver à M. de Nemours cette liaison qui ne lui devoit pas être suspecte, puisqu’on vouloit lui en rendre compte et ne s’en servir que pour lui donner la principale part aux affaires. Cette machine, étant conduite et réglée par le duc de La Rochefoucauld, lui donnoit la disposition presque entière de tout ce qui la composoit, et ainsi ces quatre personnes y trouvant également leur avantage, elle eût eu sans doute à la fin le succès qu’ils s’étoient proposé, si la fortune ne s’y fût opposée par tant d’accidents qu’on ne peut éviter. Cependant Mme de Châtillon voulut paroître à la cour avec l’éclat que son nouveau crédit lui devoit donner ; elle y alla avec un pouvoir si général de disposer des intérêts de M. le Prince, qu’on le prit plutôt pour un effet de sa complaisance vers elle et une envie de flatter sa vanité que pour une intention véritable de faire un accommodement. Elle revint à Paris avec de grandes espérances ; mais le cardinal tira des avantages solides de cette négociation ; il gagnoit du temps… » Achevons ce tableau par un trait que La Rochefoucauld a cru devoir oublier et que fournit Mademoiselle : « Mme de Châtillon, MM. de Nemours et de La Rochefoucauld, lesquels espéraient de grands avantages par un traité, la première cent mille écus, l’autre un gouvernement, et le dernier pareille somme, ne songeoient qu’à faire faire la paix à M. le Prince. » Mémoires, t. II, p. 129. — Nous avons trouvé entre les papiers de Lenet des lettres autographes de Mme de Châtillon à Lenet qu’elle l’avait supplié de brûler, et qui mettent à découvert ses intrigues et son caractère intéressé.