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tout à la fois les droits de l’imagination et les droits de la science ; je dis par un heureux privilège, car il est bien rare de voir l’exactitude se concilier avec l’invention. Et pourtant les belles œuvres, les œuvres destinées à une longue durée, ne peuvent pas se concevoir sans l’accomplissement de cette condition. Cette affirmation ne s’accorde pas avec l’opinion généralement reçue ; est-ce une raison pour ne pas la maintenir ? J’entends dire chaque jour que la science étouffe l’imagination, et cette billevesée trouve de nombreux échos : tant de gens en effet sont intéressés à la prendre pour une vérité ! c’est une maxime si commode pour la paresse ! L’ignorance volontaire est un premier pas vers le génie. Cependant j’interroge l’histoire, et l’histoire me répond que le génie le plus fécond n’a jamais pu se passer de la science. S’il a débuté par des compositions naïves, spontanées, s’il a produit spins le secours de l’étude, il n’a pas tardé à reconnaître que, livré à ses seules forces, il serait bientôt obligé de s’arrêter, et il se met à l’étude pour continuer la lutte et assurer sa victoire. Dans toutes les branches de l’art, je retrouve le même témoignage. Mozart, Beethoven, Rossini, génies spontanés par excellence, connaissent à fond tous les secrets de la science, et la science, loin d’étouffer en eux l’imagination, loin d’entraver leur essor, d’engourdir leur élan, les soutient et les mène d’un vol rapide aux plus hautes cimes de l’art. Dans la poésie, je vois Dante et Milton, qui possèdent le savoir entier de leur temps, et qui, malgré ce riche bagage, trouvent moyen d’écrire la Divine Comédie et le Paradis perdu. Dans les arts du dessin, je rencontre Vinci et Michel-Ange, qui ont étudié toute leur vie, qui nous ont laissé des œuvres immortelles, et qui ont quitté la terre sans être rassasiés de savoir.

Dans la Chasse aux Ours, les cavaliers portent le costume du temps de Charles VII, et ce costume a été traité par M. Barye avec beaucoup d’élégance. Les chevaux, vigoureux et hardiment modelés, rappellent la manière de Géricault, et ce n’est pas la seule analogie qu’on puisse signaler entre le peintre et le sculpteur. Chez M. Barye comme chez l’auteur de la Méduse, l’amour de la réalité, soutenu par des études persévérantes, imprime à toutes les parties de l’œuvre un cachet de précision qui excite d’abord la sympathie et plus tard résiste à l’analyse. L’ours offrait les mêmes difficultés que l’éléphant, car la laideur de ces deux modèles est également proverbiale. M. Barye a résolu le second problème aussi heureusement que le premier. Créer un beau cheval passe, aux yeux de la foule, pour une tâche facile, et pourtant il faut bien croire que la foule se trompe, puisqu’il arrive si rarement aux sculpteurs de la mener à bonne fin. Il ne suffit pas en effet de visiter les haras, d’assister aux courses de Chantilly, de suivre les manœuvres de la cavalerie ; pour l’accomplissement de cette tâche qu’oral dit si facile, il faut commencer par le commencement, et le commencement,