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qui s’adresse à une faculté encore sans nom en français. On l’appelle en Angleterre le sens de l’émerveillement. À l’égard des pièces comma Luria et la Tache sur le blason, la contradiction ne fait que prendre une autre forme. Le sujet y est trop mélodramatique pour les intentions qu’il sert à mettre en relief. On sent que le poète se violente ; il ne veut pas adopter les combinaisons qui seraient le plus en harmonie avec ce qu’il a à dire de la vie ; il veut avoir des incidens pour le public, et il en résulte que ce qu’il a à dire ne fait pas valoir son sujet pour ceux qui peuvent le goûter, et que son sujet ne fait pas valoir ce qu’il a à dire pour ceux qui seraient à même de l’apprécier. D’un côté, ses personnages sont trop exceptionnels, de l’autre trop génériques. Leurs mobiles et leurs sentimens appartiennent à un degré de développement trop insolite, et ils sont en même temps comme les corps simples d’une chimie qui n’a pu concevoir sa théorie qu’avec une puissance trop exceptionnelle pour généraliser. L’humanité pour le poète se décompose en élémens qui représentent des analogies perçues entre des faits que nul n’a même songé à rapprocher.

Par-dessus tout enfin, M. Browning perd dans ses drames un des plus magnifiques avantages de sa nature : il est parfois d’une impartialité désespérante. Rien de plus sublime que de savoir distinguer et aimer jusque dans le mal les énergies dont le bien n’est qu’une autre manifestation. Rien de plus élevé que de reconnaître dans le grandiose les élémens mêmes du grotesque. C’est là de l’honneur rendu au créateur quand on se place au centre des choses, c’est là du génie épique quand on prend pour sujet les forces primaires qui opèrent partout ; mais dans un drame, quand le poète nous met sous les yeux des faits et des êtres particuliers, il ne s’agit pas pour lui de rester dans le sentiment élevé qui rend justice à Dieu dans toutes ses œuvres, et qui est trois fois saint quand il s’adresse à toutes ses œuvres à la fois. Au lieu de contempler les forces qui se manifestent dans tous les phénomènes, il a voulu appeler notre attention sur une forme particulière de leur action. C’est d’un individu ou d’une œuvre qu’il est question. — Qu’en pense le poète ? Approuve-t-il ? blâme-t-il ? Il faut qu’il le laisse percer, il faut qu’il colore sa description de ses différences ou de ses antipathies, il faut qu’il prenne un parti. C’est ce que M. Browning ne fait pas toujours. La parcelle d’esprit voltairien qu’il renferme monte trop à la surface.

Qu’est-ce à dire ? que le drame est peut-être pour M. Browning un pas de trop du côté de la sensation. Le vent de la porte qu’il avait ouverte pour en retirer Paracelse l’a rejeté, je crois, trop loin, en le poussant jusque-là. La réaction ne s’est pas assez contenue. Tant mieux ; c’est elle sans doute, qui le ramènera dans sa voie avec un plus riche butin. Il se pourrait qu’il y fût déjà rentré ; sa dernière publication donnerait