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pour s’interrompre, bientôt et s’écrier en fermant les poings : — Ah ! si le ciel pouvait m’envoyer deux ou trois de ces voleurs de grand chemin, officiers ou soldats, pour me venger sur eux !

II achevait à peine ce souhait de vengeance, qu’un coup de feu retentit, suivi d’un autre dont la brève explosion annonçait un pistolet d’arçon.

— Qu’est ceci ? dit l’arriero.

— Des coups de pistolet, parbleu ! reprit Berrendo, et tenez, voici précisément un dragon espagnol que le ciel envoie à votre vengeance.

Le muletier ne parut que médiocrement satisfait de voir ses vœux exaucés : — Seigneurs cavaliers, dit-il, laisserez-vous égorger un homme déjà ruiné ?

Les deux amis tirèrent leurs épées à l’approche du soldat ; mais ils les remirent bientôt dans le fourreau. Le cavalier chancelait sur la selle, la tête à moitié fracassée, et son cheval l’emportait. En passant près des voyageurs, le dragon tomba comme une masse inerte et ne bougea plus. Berrendo put saisir son cheval.

— Prenez-le, dit-il à l’arriero, ce sera toujours un faible dédommagement.

— Dieu m’en garde ! reprit le muletier.

Le chercheur de traces, sa main sur son œil unique comme pour en concentrer le rayon visuel, regardait au loin. L’obscurité l’empêchait de voir ; mais les ténèbres de la nuit n’obstruaient pas son jugement.

— Ces deux coups de pistolet, dit-il, ont le même son : ils ont tous deux été chargés par la même main d’une mesure de poudre égale ; c’est le même cavalier qui a tiré l’un comme l’autre. Ces cavaliers, car j’en vois plusieurs, ont des armes à feu ; le malheureux qui vient de tomber là porte deux pistolets dans ses fontes. Je n’entends que le cliquetis des épées ; c’est évidemment un homme qu’on veut prendre vivant, et qu’on cherche à désarmer sans le tuer. Je l’entends crier à l’aide : c’est un étranger…

Les oreilles de Berrendo étaient loin d’avoir la finesse de celles d’Andrès. Il n’entendait ni les cliquetis des épées, ni les cris de l’homme qu’on attaquait, et il hésitait sur ce qu’il devait faire, quand Andrès relança au galop dans la direction des rumeurs qu’il entendait, tandis que Luz restait immobile et pâle comme une statue de marbre. Berrendo, jaloux de se distinguer à son tour sous les yeux de sa maîtresse, allait suivre Andrès quand les cris de la vieille le retinrent.

Maria santissima ! s’écria-t elle, allez-vous nous laisser seules ?

Berrendo resta, tandis que l’étranger continuait à appeler à l’aide d’une voix que ses agresseurs s’efforçaient d’éteindre. Andrès n’en pressa que plus vivement son cheval, dont heureusement, sur ce terrain sablonneux, on ne pouvait entendre la marche rapide. Ce fut sans