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une attention particulière. On y voit apparaître sous un jour désolant cette course échevelée des ambitions de tout étage, depuis l’ambition naissante du dernier lancé jusqu’à l’ambition inquiète du premier qui tient la tête. Depuis la grange du plus obscur village, jusqu’au cabinet somptueux de l’avocat parvenu, il y a comme un flot d’appétits, de rancunes et de vains songes qui monte toujours, et pousse d’autant plus fort les plus haut situés. L’agitateur du département murmure contre l’agitateur plus heureux que les hasards du scrutin populaire ont envoyé dans la capitale, au faîte de l’état ; l’agitateur de la petite ville jalouse et maudit celui du chef-lieu ; c’est à qui dépassera l’autre. Regardez les vagues se heurter contre la falaise : il en est une que toutes supportent, qu’elles soulèvent, qu’elles exhaussent pour ainsi dire sur leur dos, grondant d’une façon plus terrible à mesure qu’elles se gonflent davantage, jusqu’à ce qu’enfin cette crête retombe, jusqu’à ce qu’elle se brise en écume et ramène avec elle vers la mer, toute la masse qu’elle dominait. Je ne sache pas de plus exacte image du démagogue en chef que ses frères et amis guindent sur leurs épaules comme sur un pavois, tout en lui montrant le poing et en rechignant contre sa fortune, jusqu’au jour où cette déplorable fortune s’écroule et les ensevelit eux-mêmes dans sa ruine.

Il faut penser, pour se rassurer en présence d’un pareil tableau, que cette effervescence ne peut jamais être l’état normal d’une population tout entière, qu’elle en atteint seulement les élémens les plus inflammables, que l’on peut au contraire s’appuyer contre elle, sur le sens généralement rassis des multitudes. Nous expliquions précisément l’autre jour ce qui nous paraissait être le sens général de ce pays : un grand détachement de tous les prétextes nominaux sous lesquels se caches les mobiles égoïstes de partis ; une indifférence sincère pour tout ce qu’il y a dans chaque parti de plus distinctif et de moins communicable une volonté déterminée d’aller droit au fond des choses et de ne plus courir désormais en politique après les fantaisies, au lieu de s’arrêter aux réalités. Nous regrettions aussi que, dans l’assemblée nationale, les partis, malgré certains dehors de conciliation, gardassent cependant bien davantage leur quant à soi, et permissent à leurs membres les plus extrêmes, à leurs exagérés ou à leurs aventureux de prendre le pas sur le corps de bataille, sur les gens raisonnables, de faire plus de bruit que tout le monde et de forcer tout le monde à endosser leur bruit, lorsqu’il eût été si simple de les désavouer. Le vote de la révision paraît avoir eu l’effet salutaire d’opérer une rupture définitive entre le gros des partis, qui arrivera peut-être un jour à se fondre sous la loi des nécessités communes, et les ardens, les pointus de toutes les nuances, qui cherchent continuellement le mieux en haine du bien, et butent sur le pire. Le choix de la commission de permanence, la décision avec laquelle le vote a été enlevé dès le premier tour de scrutin, quand l’année dernière il en avait fallu quatre, sont des symptômes d’un favorable augure, par où l’on peut espérer qu’il est pas encore impossible de former une vraie majorité politique, une majorité qui gouverne la France. Il est assez remarquable que cette majorité semble surtout se former en défalquant du groupe qu’elle aspire à rendre plus compacte les individualités tracassières ou remuantes qui ne s’y mêlaient que pour le fractionner. Que ces individualités s’excluent d’elles-mêmes ou