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qu’on les retranche, cela ne fait rien au résultat ; l’essentiel est que leur espoir de division, que leur goût d’importance et d’isolement ne nuise plus à l’union commune. Cette union peut s’effectuer sans préjudice pour personne sur le large terrain de la révision. Ceux qui ont combattu la révision, ceux qui ont vainement essayé de dénigrer le pétitionnement, et qui cependant appartenaient par leurs antécédens, par leurs principes, à la cause de l’ordre, ceux-là se voient de plus en plus resserrer dans les défilés de la politique à Outrance où pour sûr un pays ne s’engage jamais.

Qu’est-ce que font les légitimistes dissidens qui n’ont pas trouvé que le chemin de M. Berryer fût assez droit et assez beau pour y daigner marcher eux-mêmes ? Ils jettent d’abord l’injure à leur ancien chef, cela va sans dire ; puis les uns répètent leur cri d’appel au peuple et chevauchent bravement sur leur pauvre dilemme : république ou monarchie ! Les autres, ne sachant trop par où tourner pour découvrir un personnage qui leur aille et qui ne soit pas celui du voisin, s’amusent, comme le faisait ce matin un de leurs journaux, à prouver qu’ils sont du moins prophètes, s’ils ne sont pas orateurs. Ils ont prophétisé la révolution de février ! Voilà, qui était bien difficile dans le temps où ils se complaisaient à la préparer eux-mêmes, et voilà surtout qui nous sera bien avantageux à connaître dans le temps présent !

Il est enfin d’autres régions du parti légitimiste, et nous parlons toujours des hérésiaques, où l’on s’emploie à fabriquer, pour toute recette de salut public, un certain socialisme que l’on appelle avec une naïveté adorable le socialisme blanc. Dans ces régions excentriques, on a rêvé depuis long-temps une alliance quelconque avec « le petit peuple. » On a plaidé pour lui contre les exploiteurs bourgeois, afin de l’attendrir plus facilement sur les douceurs du patronage aristocratique. On n’a pas encore réussi beaucoup, on ne se décourage pas. Voici des histoires qui trouvent des lecteurs ; nous les citons en détail pour montrer l’étrange corruption intellectuelle qui s’infiltre dans tous les cerveaux, puisque ces choses-là courent le monde et qu’on s’y abonne. Elles sont d’hier :

« Le plus curieux de tous les pèlerinages qui se sont effectués à la résidence de Henri V, c’est certainement celui des ouvriers lyonnais attirés par curiosité pure et farouches démocrates au moment de franchir le seuil du château. L’histoire ne nous a pas légué de trait plus beau que celui tout moderne d’un futur roi exilé, à la merci d’un poignard inconnu, ouvrant sa porte en souriant et recevant sans défiance des hommes d’apparence sinistre que l’égarement pouvait transformer en assassins. Qu’est-ce auprès de cela que la gloire d’Alexandre buvant avec confiance le breuvage de son médecin ? Les ouvriers lyonnais sont restés deux jours à Frohsdorff. Cette haine sourde et persistante que le poison démagogique verse à flots pressés dans la poitrine du peuple n’est tombée qu’au dernier moment, à la parole si nette, si franche, si persuasive du prince, et, si l’on peut ainsi parler, dans l’étreinte finale des adieux.

« Les ouvriers lyonnais n’ont dissimulé à Henri V ni les voeux, ni les répugnances vraies ou injustes du peuple. — Croyez-moi, monseigneur, disait l’un, les ouvriers seuls peuvent vous frayer la route de France, et ce sont leurs rudes bras qui vous assoieront solidement sur le trône des Tuileries ; mais il faut s’occuper d’améliorer leur sort, qui est tout-à-fait misérable, dût-on, pour