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sert d’abri aux hommes de loi et écrivains publics, qui y stationnent en habit noir râpé, devant de petits bureaux de chétive apparence. Elle a pour pendant le Portal de Botoneros, ainsi nommé parce que les passementiers (botoneros) et les fileurs d’or y ont établi leurs rouets et leurs dévidoirs. Derrière cette ligne de gens occupés du matin au soir à fabriquer les riches torsades qui décorent les épaules des généraux et les galons énormes qui brillent aux habits des officiers, règnent les magasins les plus fréquentés de la ville. Ces boutiques ne sont ni spacieuses ni décorées avec luxe comme celles des boulevards de Paris ; elles ressemblent plutôt aux tiendas du Zacatin de Grenade. Cependant on y trouve des soieries de Lyon et de la Chine, des toiles de Flandre et de Hollande, et surtout ces gentils souliers de satin dont les femmes du Pérou font une si prodigieuse consommation. Les dames de Lima les visitent du matin au soir ; elles ont l’habitude d’entrer dans toutes les boutiques, de marchander tout ce qui s’y trouve, quitte à ne rien acheter ; c’est à vrai dire leur seule occupation.

Un soir, — je ne sais plus en quelle saison, on ne les connaît pas là où le printemps est éternel, — un jeune cavalier monté sur un cheval fringant traversait la place de Lima au petit galop. Tout à coule l’angélus tinta à la cloche de la cathédrale. Les conversations des promeneurs cessèrent à l’instant même ; tout travail fut suspendu comme par enchantement : on n’entendit plus que le murmure d’un millier de bouches récitant à voix basse la oracion. Le cavalier s’était arrêté à ce signal solennel, il avait même ôté respectueusement son chapeau ; mais son cheval impatient bondissait et faisait des écarts à droite et à gauche, au grand scandale de la foule, qui, tout en marmottant l’ave Maria, indiquait son mécontentement par des mouvemens de tête et d’épaule. Quand les passementiers et les écrivains se remirent, ceux-ci à griffonner leurs paperasses, ceux là à faire grincer leurs rouets, quelques paroles malsonnantes pour le cavalier retentirent autour de lui.

— C’est un Anglais, disait l’un. — Et partant un hérétique, disait l’autre. — Il a fait exprès d’éperonner sa monture pour nous troubler dans nos prières, ajoutait un troisième.

Ces mots, prononcés avec plus d’émotion que de colère causèrent cependant un certain embarras au cavalier. Les groupes les plus rapprochés de lui s’aperçurent qu’il se troublait ; leur hardiesse s’en accrut, et ils firent entendre quelques sifflets.

— Eh bien ! s’écria aussitôt une voix forte qui s’élevait du Porlal di Botoneros, depuis quand verra-t-on les fils du pays insulter un étranger ? Un Anglais, un hérétique, dites vous ? Moi, je vous déclare que vous vous trompez. Ce jeune homme est catholique comme vous et moi : don Patricio, sur mon honneur, n’a d’anglais que sa tournure et la couleur blonde de ses cheveux. I say, lieutenant Patrick ?