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par ces mots : « Ce drapeau déployé, les ennemis ont pris la fuite ! » L’impression produite par cette guerre ne fut donc point aussi durable qu’on eût pu le penser. Tant de défaites réitérées n’humilièrent les armes de l’empereur qu’aux yeux des populations sur lesquelles avaient directement pesé les faciles succès des barbares. La plupart des Chinois ne virent dans l’expédition anglaise que le triomphe passager d’une bande de rebelles, qu’une incursion de pirates sur quelques points désarmés du territoire. Sous les murs de Canton, les Anglais avaient semblé battre en retraite ; ils se retiraient encore sans tenter d’entrer dans Nan-king. Ces deux circonstances contribuèrent à sauver pour quelque temps la puissance morale des Tartares.

Les Anglais n’abusèrent point de leur victoire ; ils pouvaient tout exiger ; une sage politique leur conseilla la modération. Ils ne poursuivaient point en Chine le but qu’ils avaient atteint dans l’Inde ; ils ne voulaient pas occuper une portion du Céleste Empire, mais verser jusqu’au fond de ses provinces leurs tissus de coton et de laine, ils ne demandaient que l’extension et la sécurité du commerce ; il fallait donc se montrer facile, sur les autres conditions, et n’imposer au gouvernement chinois que des engagemens qu’il ne fût pas tenté de rompre. Le grand point, en effet, était non pas d’obtenir un traité avantageux, mais d’amener les mandarins à ne plus avoir la volonté de l’éluder. Pendant quelques années, on put croire que ce résultat était acquis. Les difficultés qui survinrent entre les deux pays semblèrent naître bien moins de la mauvaise foi des autorités chinoises que du défaut de discipline qui paralysait leur action sur certaines parties turbulentes du territoire. La conservation momentanée de Chou-san, ce gage que l’empereur avait hâte de retirer des mains des barbares, contribuait à rendre les négociations plus faciles, et le vice-roi de Canton plus conciliant ; mais, quand Chou-san eut été évacué, il fallut répondre aux lenteurs étudiées de la diplomatie chinoise par des menaces ou des démonstrations. Il fallut affecter d’être prêt à recommencer la guerre, tout en ayant la ferme intention de ne la point entreprendre. C’est ainsi qu’on a vu, depuis le traité de Nan-king, les Anglais perdre insensiblement le prestige qu’ils avaient gagné par leurs victoires, reculer sans cesse dans leurs prétentions, opposer à la ruse une patience exemplaire, et ne point oser, malgré la conscience de leur force, affronter la responsabilité d’une seconde rupture. C’est à cette longanimité même que nous serions tenté de reconnaître la profondeur de leurs desseins. S’ils n’ont point osé reprendre. les armes quand le soin de leurs intérêts semblait les y inviter, c’est qu’ils ont compris qu’une nouvelle guerre, avec toutes ses conséquences si funestes à leur commerce, doit avoir un but plus considérable qu’un nouveau traité de Nan-king qui pourrait être aussitôt violé que conquis.