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chaque jour croissante. La politique s’empara de ces questions, et leur prêta la publicité dont elle dispose. Mille écrits divers s’adressèrent aux ouvriers. On leur présenta le remède aux vicissitudes du travail et par suite le bien-être, ici dans la vie claustrale du phalanstère, là dans des ateliers publics élevés sur les ruines des ateliers privés, ailleurs dans quelque décevante et chimérique Icarie. Différentes sectes communistes se livraient en outre à des menées souterraines. Aucune de ces influences ne put arriver à prévaloir parmi les classes ouvrières ; mais leur action engendra une fermentation profonde où l’extravagance et l’injustice se mêlaient à des aspirations sérieuses et légitimes ; des besoins, factices a des nécessités réelles. Un résultat était constant ; c’est que les ouvriers commençaient à penser à part, à se considérer comme en dehors de la société générale dans laquelle les hommes de 89 avaient voulu les confondre, et dont un peu plus de réflexion et un peu plus d’expérience doit infailliblement les rapprocher.

La révolution de février éclata inopinément au milieu de ces circonstances ; les ouvriers ne l’avaient luis faite, mais ils s’en emparèrent immédiatement. Incapables de la diriger et de se diriger eux-mêmes, ils la tinrent entre leurs mains ; ils dominèrent un moment la nation stupéfaite et troublée. Quand on songe aujourd’hui à l’enivrement qui devait saisir une classe peu éclairée, conduite par des agitateurs ambitieux et pervers, on s’étonne bien moins de quelques excès qui ont été commis sur divers points du territoire que de la rapidité avec laquelle l’ordre s’est rétabli. Il fallait, je le dis à l’honneur de la société tout entière, il fallait qu’il y eût dans ces esprits égarés, dans ces ames ardentes, de profonds instincts d’honnêteté.

Quatre années nous séparent bientôt de cette époque. Un travail incalculable s’est accompli depuis dans les intelligences populaires. Héritier de toutes les écoles de toutes les sectes intérieures à la révolution de février qui conservent sous un seul nom leurs vues diverses, le socialisme a tâché de recruter une armée, parmi les ouvriers. Quelle impression a-t-il produite sur leurs esprits ? quels résultats a-t-il obtenu ? Chercher la réponse à ces questions, c’est chercher la clé de notre temps et prendre à sa racine le problème qui plane sur l’avenir. Il n’y en a point d’autres sur lesquelles la société ait plus d’intérêt à être fixée d’une manière précise. Il s’agit en effet de savoir si la virile population qui peuple nos usines et prend une si grande part dans l’accomplissement des merveilles de l’art, de la mécanique et de l’industrie, est véritablement livrée à des doctrines brutales et cupides ; il s’agit de savoir si la masse de la nation, impatiente de s’affranchir de la nécessité du travail, sourde aux idées de justice, en est venue à croise qu’il suffit de dépouiller ceux qui possèdent pour enrichir ceux qui n’ont rien. Impuissans à constituer un gouvernement assez fort