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neuf ateliers de blanchiment ou d’apprêt ; mais déjà nous nous éloignons du régime de travail établi dans la Flandre proprement dite. Sur cent à cent vingt mille individus qu’alimente la fabrique de Saint-Quentin, sept ou huit sont éparpillés dans des hameaux plus ou moins éloignés, et font mouvoir isolément leur métier. Dans les Ardennes, la fabrique de Sedan fait une plus large part au travail aggloméré. Le tissage qui s’effectue à domicile occupe seulement quinze à dix-huit cents ouvriers sur un total de huit à neuf mille.

Comment ce grand nombre d’ouvriers, ceux qui sont enfermés dans les fabriques et ceux qui travaillent à leur domicile, ont-ils traversé les deux années d’où nous sortons ? Ont-ils éprouvé que la société est impuissante à leur donner du travail, et doivent-ils être aigris pour n’avoir pu utiliser leur force oisive ? L’esprit du peuple a-t-il été poussé par la misère dans les voies hostiles à l’ordre social ? En se reportant à la fin de la campagne de 1850, avant que les inquiétudes nées d’une situation difficile eussent altéré le cours naturel des transactions économiques, on remarque dans toutes les industries une activité prodigieuse. Si on excepte les usines métallurgiques, dont le retentissement des travaux de chemins de fer paralyse encore les allures, partout dans cette contrée du nord les feux éteints en 1848 se sont rallumés, et les métiers immobiles ont repris leur marche accoutumée. Les commandes abondent dans les filatures et dans les fabriques de tissus. Le lin et le chanvre en particulier ont eu, en 1849 et en 1850, deux années d’une très haute prospérité. Durant cette période, la continuité du travail et l’élévation des salaires forment, au point de vue de l’intérêt des travailleurs, les traits saillans de la situation générale de l’industrie. La fabrication n’a éprouvé aucune de ces crises ultérieures qui, en amenant le chômage et en réduisant la rétribution payée aux ouvriers, retranchent, comme l’a dit M. Léon Faucher, quelque chose de leur sueur et de leur sang. De plus, le pain et les denrées de première nécessité ne cessent pas d’être à bas prix. Le milieu où vit le travailleur se présente donc à nos regards dans les conditions les plus favorables. Le tableau s’est rembruni, il est vrai depuis les derniers mois de 1850. Un renchérissement survenu dans le coton et le lin, en forçant les manufacturiers à hausser les conditions de la vente, avait déjà resserré les débouchés et par conséquent la production. D’un autre côté, la douceur exceptionnelle de la température durant l’hiver dernier a considérablement nui à la vente des draps et de tous les tissus de laine. En des temps ordinaires, ces embarras d’un moment seraient bientôt emportés par le grand courant de la consommation. Si les inquiétudes répandues dans le pays n’interrompent pas trop long-temps le roulement habituel des affaires, la situation morale des contrées flamandes, on peut l’espérer, ne sera point altérée. Du moins est-il vrai qu’au jour où nous voulons sonder les intelligences populaires et suivre les directions du mouvement