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qui les emporte, aucune circonstance extraordinaire dans l’ordre de la vie matérielle n’est venue, depuis trois ans, irriter les esprits. On ne saurait donc choisir un meilleur moment pour chercher à mesurer l’influence qu’a pu exercer le socialisme sur les classes laborieuses.

Bien que le caractère et l’étendue de cette action, de même que le mode suivant lequel se développe l’esprit des ’masses, diffèrent assez notablement dans les divers districts qui composent la zone septentrionale, quelques observations d’ordre purement moral peuvent également s’appliquer à tous. Ainsi, dans toute la zone flamande, on n’a eu à déplorer pendant les deux dernières années aucun de ces désordres extérieurs qui dénotent des haines sourdes et des cœurs ulcérés. Depuis que les fabriques fermées en 1848 se sont rouvertes devant une population empressée d’y rentrer, point de coalitions ni de grèves. Quelques émotions partielles et toutes locales sont aisément calmées aussitôt qu’elles se manifestent. Étrangers à la crise que subit le travail en ce moment, les ouvriers n’ont pas à se reprocher cette fois d’avoir abandonné eux-mêmes l’atelier et épouvanté les capitaux démonstrations. Ces premiers signes, qui ne suffisent pas, il est vrai, pour faire apprécier l’état moral de la population industrielle dans le nord de la France, indiquent du moins qu’il n’y a pas là un vase d’où le désordre coule à pleins bords. On le comprendra mieux encore en suivant l’ouvrier dans sa vie ordinaire et au milieu des institutions locales qui s’offrent à lui.

Pour les cinq départemens de la région appelée flamande, cinq villes industrielles d’une importance diverse, Lille, Calais, Amiens, Saint-Quentin et Sedan, nous présentent tous les traits de la physionomie morale des classes laborieuses dans cette partie de la France. À dire vrai, en ce qui concerne le Nord, le Pas-de-Calais et la Somme, il pourrait presque suffire de s’arrêter à Lille, où se rattachent les principaux fils de la vie industrielle de toute cette contrée, où les ouvriers sont si nombreux, où les influences qui les sollicitent en sens divers revêtent des aspects si singuliers et si curieux : L’action dépensée en vue de relever la condition morale et la condition matérielle de la classe ouvrière a pris depuis trois ans, dans un grand nombre de villes de province, un développement rapide et étendu ; mais cette action n’est nulle part peut-être plus énergique, plus ingénieuse, plus persévérante qu’à Lille, bien qu’elle n’y frappe pas les regards de prime abord. Voulez-vous en découvrir l’étendue ? vous devez pénétrer dans le sein d’institutions souvent peu apparentes, et étudier de près des mœurs et les habitudes tout intérieures. Là, en effet, rien de vif et de saisissant dans le caractère de la population. La masse, qui a de la droiture dans l’esprit et de la générosité dans les sentimens, est peu éclairée et souvent apathique. Sous un ciel froid et pluvieux, la vie ne se passe guère au