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fossé. Les portes, ornées de briques émaillées de diverses couleurs, sont défendues par une espèce de petit fortin construit en avant des murs ; mais presque tous ces ouvrages tombent en ruine, et ne pourraient être d’aucune utilité en cas d’attaque sérieuse. Au premier aspect, Téhéran n’offre à l’œil qu’une longue ligne de murailles en briques jaunâtres que surmontent quelques coupoles de mosquées et les kiosques du palais du châh. Les édifices sont peu remarquables ; les bazars sont mal construits et d’un misérable aspect. Les mosquées n’ont rien de grand dans l’ensemble, rien d’élégant dans les détails. On voit que Téhéran n’est en quelque sorte une capitale que par accident. Les princes Kadjârs, qui ont fait de cette cité de second ordre le siège de leur royaume, n’ont eu ni les goûts, ni sans doute les ressources qui perpétuent à Ispahan le souvenir de la glorieuse dynastie des Sophis. La seule partie de la ville qui soit digne d’intérêt est celle qu’on appelle l’Ark. C’est là que se trouvent le palais du châh, avec toutes ses dépendances, les habitations de quelques princes du sang royal et de quelques grands personnages attachés à la cour. C’est là aussi qu’est logée une partie de la garde du roi. Selon l’usage oriental, l’Ark est un quartier placé vers le centre de la ville, et séparé des autres par une muraille fortifiée au pied de laquelle sont des fossés qu’on traverse sur des ponts-levis.

La principale porte de cette enceinte royale est tournée au sud ; après l’avoir dépassée, on s’engage dans une longue galerie sombre où se tiennent des soldats et quelques kahounadjis[1]. De là on arrive sur une grande place qui porte le nom de Meïdân-i-Châh ou Place Royale. Elle est fermée de tous côtés par des murailles flanquées de tours et garnies de canons, par des casernes et par les murs extérieurs du sérail. De chaque côté de la porte du palais, des pièces d’artillerie semblent défendre les abords de la résidence royale ; mais, en y regardant de près, on s’aperçoit qu’elles sont hors de service, qu’il manque à celle-ci une roue, à celle-là un affût ; et qu’elles figurent là plutôt comme emblèmes de la puissance royale que comme moyens de défense. Au milieu du Meïdân est une plate-forme élevée d’un mètre environ, sur laquelle repose encore une énorme pièce de canon placée là on ne sait trop pourquoi. Cette pièce n’est pourtant pas complètement inutile et la destination qu’on lui a donnée doit être indiquée ici comme un trait de mœurs locales. Il est convenu que le coupable qui parvient à se blottir sous son affût brisé est inviolable, quel que soit son crime ; il attend le passage du roi, qui finit toujours par lui accorder sa grace. Téhéran compte d’autres lieux d’asile, qui sont généralement des mosquées ou certains tombeaux d’imâms en grand crédit auprès des dévots ; mais ce qu’on aurait peine à croire ; c’est que les écuries jouis-

  1. Ceux qui fument le kaloûn ou pipe à eau.