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Quant à Zeyd, fils d’Amr, il se rendait tous les jours à la Caaba et priait Dieu de l’éclairer. On le voyait, le dos appuyé contre le mur du temple, se livrer à de pieuses méditations dont il sortait en s’écriant : Seigneur ! si je savais de quelle manière tu veux être servi et adoré, j’obéirais à ta volonté ; mais je l’ignore. Ensuite il se prosternait la face contre terre. N’adoptant ni les idées des Juifs ni celles des chrétiens, Zeyd se fit une religion à part, tâchant de se conformer à ce qu’il croyait avoir été le culte suivi par Abraham. Il rendait hommage à l’unité de Dieu, attaquait publiquement les fausses divinités, et déclamait avec énergie contre les pratiques superstitieuses. Persécuté par ses concitoyens, il s’enfuit et parcourut la Mésopotamie et la Syrie, consultant partout les hommes voués aux études religieuses dans l’espoir de retrouver la religion patriarcale. Un savant moine chrétien, avec lequel il s’était lié, lui annonça, dit-on, l’apparition d’un prophète arabe qui prêchait la religion d’Abraham à la Mecque. Zeyd s’empressa de se mettre en route pour aller entendre l’apôtre ; mais il fut arrêté en chemin par une bande de voleurs, dépouillé et mis à mort.

Ainsi, de toutes parts on pressentait une grande rénovation religieuse, de toutes parts on disait que le temps de l’Arabie était venu. Le prophétisme est la forme que revêtent toutes les grandes révolutions chez les peuples sémitiques, et le prophétisme n’est, à vrai dire, que la conséquence nécessaire du système monothéiste. Les peuples primitifs, se croyant sans cesse en rapport immédiat avec la Divinité et envisageant les grands événemens de l’ordre physique et de l’ordre moral comme des effets de l’action directe d’êtres supérieurs, n’ont eu que deux manières de concevoir cette influence de Dieu dans le gouvernement de l’univers : ou bien la force divine s’incarne sous une forme humaine, c’est l’avatar indien ; ou bien Dieu se choisit pour organe un mortel privilégié, c’est le nabi ou prophète sémitique. Il y a si loin en effet de Dieu à l’homme dans le système sémitique, que la communication de l’un à l’autre ne peut s’opérer que par un interprète restant toujours parfaitement distinct de celui qui l’inspire. Dire que l’Arabie allait entrer dans l’ère des grandes choses, c’était dire par conséquent qu’elle allait avoir son prophète comme les autres familles sémitiques. Plusieurs individus, prévenant la maturité des temps, crurent ou prétendirent être l’apôtre annoncé. Mahomet grandissait au milieu de ce mouvement. Ses voyages en Syrie, ses rapports avec les moines chrétiens, et peut-être l’influence personnelle de son oncle Waraca, si versé dans les écritures juives et chrétiennes, l’eurent bientôt initié à toutes les perplexités religieuses de son siècle. Il ne savait ni lire ni écrire ; mais les histoires bibliques avaient pénétré jusqu’à lui par des récits qui l’avaient vivement frappé, et qui, restés dans son esprit à l’état de vagues souvenirs, laissaient toute liberté à