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son imagination. Le reproche qu’on a adressé à Mahomet d’avoir altéré les histoires bibliques est tout-à-fait déplacé. Mahomet prenait ces récits tels qu’on les lui donnait, et la partie narrative du Coran n’est que la reproduction des traditions talmudiques et des évangiles apocryphes, surtout de l’Évangile de l’Enfance. Cet évangile, qui fut de très bonne heure traduit en arabe et qui n’a été conservé que dans cette langue, avait acquis une importance extrême parmi les chrétiens des régions écartées de l’Orient et avait presque effacé les canoniques. Il est certain que ces récits étaient un des plus puissans moyens d’action de Mahomet. Nadhr, fils de Hârith, entreprenait quelquefois de lui faire concurrence ; il avait séjourné en Perse et connaissait les légendes des anciens rois de ce pays. Lorsque Mahomet, réunissant autour de lui un cercle d’auditeurs, leur présentait des traits de la vie des patriarches et des prophètes, des exemples de la vengeance divine tombée sur des nations impies, Nadhr prenait la parole après lui et disait : « Écoutez maintenant des choses qui valent bien celles dont Mahomet vous a entretenus. » Il racontait alors les faits les plus étonnans de l’histoire héroïque de la Perse, les merveilleux exploits des héros Roustem et Isfendiâr ; puis il ajoutait : « Les narrations de Mahomet sont-elles plus belles que les miennes ? Il vous débite d’anciennes légendes qu’il a recueillies de la bouche d’hommes plus savans que lui, comme j’ai moi-même recueilli dans mes voyages et mis par écrit les récits que je vous fais. »

Long-temps avant l’islamisme, les Arabes avaient adopté pour expliquer leurs propres origines les traditions des Juifs et des chrétiens. On a souvent envisagé la légende par laquelle les Arabes se rattachent à Ismaël comme ayant une valeur historique et fournissant une puissante confirmation des récits de la Bible. Aux yeux d’une critique plus délicate, cela est inadmissible. On ne peut douter que les réputations bibliques d’Abraham, de Job, de David, de Salomon n’aient commencé chez les Arabes vers le ve siècle. Les Juifs (les gens du livre) avaient tenu jusque-là les archives de la race sémitique, et les Arabes reconnaissaient volontiers leur supériorité en érudition. Le livre des Juifs parlait des Arabes, leur attribuait une généalogie ; cela suffisait pour que ceux-ci l’acceptassent de confiance : tel est le prestige du livre sur les peuples naïfs, et l’empressement avec lequel ils cherchent à se rattacher aux origines écrites des peuples plus civilisés. On raconte qu’à l’époque où Mahomet commençait à se faire remarquer, les Mecquois eurent l’idée d’envoyer des députés à Médine consulter les rabbins de cette ville sur ce qu’il fallait penser du nouveau prophète. Les députés dépeignirent aux docteurs la personne de Mahomet, leur exposèrent quels étaient ses discours et ajoutèrent : « Vous êtes des savans qui lisez des livres : que pensez-vous de cet homme ? » Les docteurs répondirent : « De-