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mône destinée à défrayer les pèlerins ; la sicaya, ou intendance des eaux, charge capitale dans un pays comme l’Hedjaz ; le nasaa, ou l’intercalation des jours complémentaires dans le calendrier ; le hidjaba, ou la garde des clés de la Caaba. Ces fonctions qui résumaient toute l’institution politique et religieuse de l’Arabie étaient exclusivement réservées aux Koreischites. Ainsi, dès le milieu du ve siècle, le germe de la centralisation de l’Arabie est déjà posé, et le point d’où devait partir l’organisation religieuse et politique de ce pays est désigné à l’avance. Cossay, en un sens, a fondé beaucoup plus que Mahomet. Il fut même regardé comme une sorte de prophète, et sa volonté passait pour un article de religion.

Hâschem, dans la première moitié du vie siècle, compléta l’œuvre de Cossay et étendit d’une manière surprenante les relations commerciales de sa tribu : il établit deux caravanes, l’une d’hiver pour l’Yémen, l’autre d’été pour la Syrie. Abd-el-Mottalib, fils de Hâschem et grand-père de Mahomet, continua l’œuvre traditionnelle de l’oligarchie koreischite par la découverte du puits de Zemzem[1]. Le puits de Zemzem, indépendamment de la tradition qu’on y rattacha, était, dans une vallée aride et aussi fréquentée que celle de la Mecque, un point capital, et assurait la prééminence à la famille qui se l’était approprié. La tribu des Koreischites se trouvait ainsi élevée, comme celle de Juda chez les Hébreux, au rang de tribu privilégiée, destinée à réaliser l’unité de la nation. Mahomet ne fit que couronner l’œuvre de ses ancêtres ; en politique, comme en religion, il n’a rien inventé, mais il a réalisé avec énergie les aspirations de son siècle. Il reste à chercher quels auxiliaires il trouva dans les instincts éternels de la nature humaine, et comment, en s’appuyant sur les faiblesses du cœur de l’homme, il sut donner à son œuvre la base la plus inébranlable qui fut jamais.

Indépendamment de toute croyance dogmatique, il y a en nous des besoins religieux auxquels l’incrédulité même ne saurait nous soustraire. On s’étonne quelquefois qu’une religion puisse vivre si long-temps après que l’édifice de ses dogmes a été miné par la critique ; mais, en réalité, une religion ne se fonde ni ne se renverse par des raisonnemens : elle a sa raison d’être dans les besoins les plus impérieux de notre nature, besoin d’aimer, besoin de souffrir, besoin de croire. Voilà pourquoi la femme est l’élément essentiel de toutes les fondations religieuses. Le christianisme a été, à la lettre, fondé par des femmes[2]. L’islamisme, qui n’est pas précisément une religion sainte,

  1. C’est la source que, selon la légende arabe, Dieu fit jaillir dans le désert pour désaltérer Ismaël.
  2. Voyez les spirituels aperçus de M. Saint-Marc Girardin sur le rôle des femmes à l’origine du christianisme dans ses Essais de littérature et de morale, t. II.