Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/1099

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mandez-lui : Qu’est-ce que certains jeunes gens des siècles passés dont l’aventure est une merveille ? Qu’est-ce qu’un personnage qui a atteint les bornes de la terre à l’orient et à l’occident ? Qu’est-ce que l’ame ? S’il répond à ces trois questions de telle ou telle manière, c’est véritablement un prophète. S’il répond autrement, ou s’il ne peut répondre, c’est un charlatan. » Mahomet résolut la première énigme par l’histoire des sept dormans, populaire dans tout l’Orient ; la seconde, par Dhoul-Carnayn, conquérant fabuleux qui n’est autre que l’Alexandre légendaire du Pseudo-Callisthène. Quant à la troisième, il répondit, hélas ! peut-être tout ce qu’il est permis de répondre : « L’ame est une chose dont la connaissance est réservée à Dieu. Il n’est accordé à l’homme de posséder qu’une bien faible part de science. »

La partie dogmatique de l’islamisme suppose encore moins de création que la partie légendaire. Mahomet était tout-à-fait dénué d’invention en ce sens. Étranger aux raffinemens du mysticisme, il n’a su fonder qu’une religion simple et de toutes parts limitée par le sens commun, timide comme tout ce qui naît de la réflexion, étroite comme tout ce qui est dominé par le sentiment du réel. Le symbole de l’islamisme, au moins avant l’invasion des subtilités persanes, dépasse à peine les données les plus simples de la religion naturelle. Nulle prétention théologique, aucun de ces hardis paradoxes du supernaturalisme où se déploie avec tant d’originalité la fantaisie des races douées pour l’infini ; pas de sacerdoce, pas de culte en dehors de la prière. Toutes les cérémonies de la Caaba, les tournées processionnelles, le pèlerinage, l’omra, les sacrifices dans la vallée de Mina, le débordement du mont Arafat, étaient organisés dans tous leurs détails long-temps avant Mahomet. Le pèlerinage surtout était depuis un temps immémorial un élément essentiel de la vie arabe, ce qu’étaient les jeux olympiques pour la Grèce, les panégyres de la nation, à la fois religieuses, commerciales, poétiques. La vallée de la Mecque était ainsi devenue le point central de l’Arabie, et, malgré la division et la rivalité des tribus, l’hégémonie de la famille qui gardait la Caaba était tacitement reconnue. Ce fut un moment grave et qui fait presque une ère dans l’histoire des Arabes que celui où l’on mit une serrure et une clé à la maison sainte. Dès-lors l’autorité fut attachée à la possession des clés de la Caaba. Le Koreischite Cossay, ayant enivré le Khozaïte Abou-Ghobschan, gardien des clés, les lui acheta, dit la légende, pour une outre de vin et fonda ainsi l’autorité primatiale de sa tribu. À ce moment commence le grand mouvement d’organisation de la nation arabe. Jusque-là, on n’avait osé dresser que des tentes dans la vallée sacrée ; Cossay y groupa les Koreischites, reconstruisit la Caaba et fut le vrai fondateur de la ville de la Mecque. Toutes les institutions les plus importantes datent de Cossay : le nadwa, ou conseil central siégeant à la Mekke ; le liwa, ou drapeau ; le rifada, ou l’au-