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l’empreinte d’une raison un peu étroite, mais juste, et d’un cœur excellent. Le talent littéraire proprement dit n’est pas absent, cependant il serait difficile de détacher du livre une seule page ; toutes se ressemblent, toutes ont la même valeur, le même mérite, valeur très relative, mérite très modéré. Le ton est uniforme, il est facile de voir que l’auteur a apporté le même soin du commencement à la fin de son œuvre; mais ce n’est point à cause de leur valeur littéraire que nous parlons de ces livres: nous y cherchons des observations et des symptômes, et non point des beautés de style et de grandes pensées.

Cette littérature démocratique de l’Angleterre, prise en masse, peut se diviser en trois catégories : la première comprend les publications complètement socialistes et les pamphlets chartistes. C’est la plus abondante peut-être, mais la plus vulgaire et la moins intéressante. Cette littérature et les doctrines qu’elle expose n’ont rien de national, et sont ce qu’on peut appeler une importation de l’étranger. Plans d’éducation, projets d’associations, modèles de gouvernement, tous ces joujoux abstraits que l’on met entre les mains des masses populaires pour les abuser et les séduire, tous ces fétiches métaphysiques qui sont pour nos prolétaires modernes ce que sont pour les nègres ignorans et barbares les poupées magiques et autres symboles de la superstition, se produisent en foule en Angleterre, mais pour mourir aussitôt que nés. Toutes ces brochures, œuvres d’esprits déclassés, stériles ou oisifs, sont le témoignage de l’influence que la France, même à ses plus mauvais jours, est destinée à exercer sur les autres nations; elles sont comme l’écho et le retentissement de la révolution de 1848 en Angleterre. Qui se serait jamais attendu à voir prêcher le jacobinisme et le terrorisme dans la Grande-Bretagne? Nous avons lu, il y a quelque temps néanmoins, une Vie de Robespierre par un chef chartiste, M. Bronterre, et une seconde biographie révolutionnaire, celle de Babœuf, toutes deux écrites dans le sentiment qui a dicté à M. Louis Blanc sa philosophie révolutionnaire. L’écrivain le plus distingué de cette tribu socialiste est M. Thornton Hunt, rédacteur d’un journal communiste qui s’intitule le Guide, the Leader. Nous avons lu quelques numéros de ce journal, et nous y avons trouvé des théories, sinon inoffensives, au moins exprimées si naïvement dans leur monstruosité, que, sans soupçonner la bonne foi de M. Hunt, nous pouvons supposer qu’il ne professe de telles opinions que par respect pour les traditions de sa famille. Son père, le célèbre Leigh Hunt, le fondateur de l’Examiner, ayant été un ardent réformiste et un radical à toute outrance, M. Thornton Hunt a supposé sans doute qu’il ne devait pas s’écarter des voies tracées, que son père devait être pour lui non-seulement un bon exemple à suivre, mais un sujet d’émulation, qu’il devait non-seulement marcher dans sa voie, mais, si cela se pouvait, le dépasser. C’est aussi ce