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l’équipée de Nino et la fuite honteuse qui avait terminé ses fanfaronnades de vertu ; mais, quand elle eut bien maudit le coupable et versé un torrent de larmes, elle sentit, avec un redoublement de douleur, qu’au fond, malgré les fautes, les mensonges et l’ingratitude de Nino, elle aimait de toute son ame un voleur. Les filles du Midi n’éprouvent pas au même degré que les françaises le besoin d’estimer l’objet de leur tendresse ; une fois que la passion s’est allumée dans leur cœur, elle ne s’y éteint pas pour un délit de plus ou de moins. L’estime est une opération du jugement et non du cœur. Giovannina eut encore plus de pitié que d’indignation en songeant que son amant méritait les galères. Elle voulut lui épargner cette punition terrible, et porta bien vite au seigneur anglais cent vingt ducats en le priant de n’exercer aucune poursuite. Sir John était fort animé contre son serviteur infidèle. Cependant la générosité de sa protégée le piqua d’émulation. Il refusa l’argent et promit de ne point faire la déclaration du vol commis à son préjudice. Après cette heureuse négociation, Giovannina, poussée sans le savoir par ces instincts antiques dont on trouve tant de restes curieux à Naples, voulut consulter les augures. À défaut de la sibylle de Cumes, dont la caverne était déserte, elle eut recours à une tireuse de cartes pour répandre un peu de lumière sur les ténèbres affreuses qui enveloppaient sa situation présente et son avenir.

La cartomancie, et généralement toutes les industries fondées sur la superstition, sont en grande faveur dans les Deux-Siciles. Avec la finesse, l’art inventif et l’esprit qui s’y dépensent en magie blanche, on ferait un cours de diplomatie. Dans l’antichambre de la tireuse de cartes, il y avait plus de monde qu’à la porte d’un docteur en droit. Parmi les personnes qui attendaient leur tour, Giovannina reconnut Bérénice. Sur le terrain neutre de la divination, les deux rivales s’approchèrent l’une de l’autre et se saluèrent avec courtoisie, comme si la sainteté du lieu leur eût fait un devoir d’oublier pour un moment leur ancienne querelle. Bérénice déclara qu’elle était guérie de son amour pour Nino et qu’elle espérait recevoir des cartes quelque avis sur ses relations embrouillées avec le rusé Ciccio. Dès-lors, tout sujet de rancune étant évanoui, les deux jeunes filles se donnèrent la main et firent la partie de consulter ensemble la sorcière.

C’était une personne renommée pour sa science que la vieille tireuse de cartes, et par conséquent une fine mouche. Sous le prétexte de préparer son jeu, elle observa les physionomies de ses deux jeunes pratiques, où il était facile d’étudier les nuances de leurs caractères. À leur jeunesse et à leur beauté, on voyait bien que l’amour leur devait donner plus de tablature que l’ambition. La violence naturelle de Bérénice et les bons instincts de Giovannina se démêlaient dans les regards, les gestes et l’accent de la voix. La simplicité, l’ingénuité, l’incontinence de langue vinrent encore en aide à la devineresse, qui n’eut