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Les vents mêmes semblaient frappés de léthargie. Quelquefois, pendant les nuits brûlantes, longues nuits d’insomnie et d’agitation, nos voiles se gonflaient sous un souffle inespéré : une joyeuse écume scintillait sous la proue; l’onde phosphorescente fuyait le long du bord ou heurtait gaiement la joue du navire; puis, au moment le plus inattendu, ce murmure des vagues mourait soudain ; les lourdes voiles s’affaissaient sur elles-mêmes, l’Océan reflétait de nouveau les mille clartés du ciel, et, quand le jour venait à paraître, nos premiers regards rencontraient encore le morne aspect de ces sommets noirâtres qui dessinaient toujours leur silhouette gigantesque sur l’azur immaculé de l’éther. Ces calmes désespérans triomphèrent de notre constance, et le 1er novembre, lassés d’une lutte ingrate, nous vînmes jeter l’ancre sur la côte de Timor, devant l’établissement portugais de Batou-Guédé.

Cet établissement est peut-être le plus humble débris qu’ait laissé en s’écroulant le vaste empire si glorieusement fondé au-delà des mers par l’épée des Albuquerque et des Juan de Castro. A quelques mètres de la plage, dont la courbe insensible marque entre deux pointes basses et boisées une baie peu profonde, quelques pierres madréporiques assemblées sans ciment protègent de leur modeste enceinte le toit de feuillage du gouverneur. Deux canons de fonte, qui doivent avoir figuré aux sièges de Diù et d’Ormuz, sont braqués vers la mer. Ces reliques vénérables partagent, avec quelques escopettes confiées à une demi-douzaine de soldats indigènes, l’honneur de faire respecter par les baleiniers anglais ou américains l’étendard de dona Maria et les ambitieuses armoiries d’Emmanuel. Vers le milieu du XVIIe siècle, le Portugal fut contraint de céder aux Hollandais ses plus riches conquêtes. Il ne lui resta dans les mers de l’Indo-Chine que l’île de Solor et la partie orientale de Timor. Dans cette dernière île, les chefs les plus influens s’étaient convertis, dès l’année 1630, à la foi catholique, et ce lien moral a suffi, malgré les efforts réitérés de la Hollande, pour maintenir sous la domination portugaise la majeure partie de la population. Le pavillon des Pays-Bas flotte sur le fort de Coupang; le drapeau du Portugal est encore arboré sur les murs de Dilly et sur ceux de Batou-Guédé.

Bien qu’on évalue à près de cinq cent mille âmes la population de Timor, cette île n’occupe qu’une place insignifiante dans le commerce général de l’archipel indien. Les colons chinois établis sur la côte se chargent d’expédier à Java ou à Singapore le tripang que recueillent les pêcheurs de Célèbes, la cire et le bois de sandal que fournissent aux habitans les forêts de l’intérieur. L’active industrie des Européens ne stimule point ici, connue à Java, le labeur indigène, et c’est à l’exportation de ces produits peu importans que se borne le commerce d’une ile presque aussi vaste que la Sardaigne ou la Sicile. Dans ces contrées