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brûlantes, la flore tropicale déploie sans relâche sa magnificence inépuisable. Les champs ne connaissent pas les teintes jaunes et flétries de l’automne; ils ne voient pas non plus des milliers de bourgeons éclore sous la tiède haleine du printemps; mais à chaque heure du jour, à chaque instant de l’année, on peut entendre l’éternel murmure de la végétation. Le sein fécond de la terre est toujours gonflé de la même ardeur désordonnée, ardeur infructueuse ou funeste, si la main de l’homme ne la contient et ne la dirige. Partout où cette nature luxuriante est livrée à elle-même, elle ne présente bientôt qu’un dédale inextricable. Le rivage est couvert de palétuviers qui s’avancent vers la mer comme une troupe de dryades prêtes à s’élancer dans les flots; on essaierait vainement de se frayer un chemin à travers ces arbres touffus, au milieu de ces racines traçantes qui s’unissent pour défier les efforts de la vague. La montagne est couronnée de géans séculaires dont le dôme impénétrable intercepte les rayons du jour. Là, entre les vieux troncs chargés d’orchidées, d’innombrables rejetons ouvrent comme des corbeilles leurs palmes épanouies ou font jaillir de terre une tige impatiente. Sous ces voûtes confuses, les lianes et les convolvulus jettent d’une branche à l’autre leurs festons et enlacent la forêt de leurs mille guirlandes. Il faut que l’incendie balaie cet opulent désordre, que les touffes du bambou au feuillage aérien, le ricin aux capsules épineuses ou l’hibiscus aux fleurs de pourpre entourent d’une haie protectrice la portion de terrain destinée à la culture, pour que le bananier vienne ombrager de ses larges feuilles la cabane de l’Indien, pour qu’auprès de l’aréquier au tronc svelte et inflexible, du papayer à la tige laiteuse, le cocotier incline sous la brise son panache verdoyant et ses coupes toujours pleines.

A Batou-Guédé, les habitans n’ont défriché qu’une zone étroite qui s’étend le long du rivage. Dès que cette zone est franchie, on se trouve au milieu d’une forêt vierge. Un magique spectacle s’offre alors à la vue. Le figuier des banians, le jaquier aux feuilles digitées, le cassier aux grappes roses et aux siliques monstrueuses, bordent la lisière du bois et mêlent les teintes variées, la bizarre découpure de leur feuillage aux masses sombres et uniformes des lataniers ou des cycas. Les kakatoès à huppe jaune peuplent l’abri touffu des tamariniers et les cimes des canaris gigantesques; les pigeons s’ébattent au milieu des muscadiers sauvages; les loris, au plumage de carmin et d’azur, se bercent doucement sur les longs pétioles des palmiers, tandis qu’autour des régimes naissans voltigent les nombreux essaims des guêpiers et des souimangas, joyaux vivans qui insèrent leurs becs recourbés jusqu’au fond des corolles tubulaires pour y chercher les insectes et le miel des fleurs.

Au milieu de tout cet éclat, au milieu de cette splendeur animée de