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lesse de son crayon et la douce suavité de son coloris, un succès qui le fuit, que l’art historique et religieux, plus exigeant, ne se laisse arracher que par les intelligences viriles et opiniâtres dans leur effort.

Une femme, Mme Frédérique O’Connell, a pris dans l’école belge une position unique. S’inspirant à la fois de Rubens et de Rembrandt, elle s’est créé une manière, un style d’une étonnante hardiesse. Malgré de graves incorrections de dessin et ce je ne sais quoi d’incomplet ou d’exagéré, d’en-deçà ou d’au-delà, qui est le défaut de la plupart des femmes artistes, les toiles de Mme Frédérique O’Connell ont un mérite incontestable. Sa façon de comprendre, son faire, son coup de pinceau, sont d’une audace qui va jusqu’à la témérité. Pierre-le-Grand et Catherine, peints par elle en double nature, deviennent presque monstrueux à force de vigueur et de relief. À ces portraits, ornemens d’un salon de Titans, à la Psyché et à la Nymphe endormie, où l’imitation de Rubens est trop évidente dans le faire et pas assez dans le dessin, combien ne préfère-t-on pas le tableau où Mme O’Connell s’est représentée elle-même, en robe de chambre, la palette à la main, sans autre prétention que celle-là, et avec une liberté, une sûreté de touche, un esprit et une harmonie de ton sans pareils !

Un talent nouveau s’élève en Belgique. M. Guffens a envoyé de Rome une Lucrèce empreinte d’une beauté grave et douce. L’ordonnance de la composition est simple et noble. Lucrèce est assise, elle file, ses femmes l’entourent. Rien de plus calme que cette scène d’intérieur, poétisée par M. Guffens sans affectation et sans recherche.

D’autres artistes encore doivent être signalés ici à l’attention de ceux qu’intéressent l’école belge et ses progrès dans la grande peinture. M. Portaels, qui n’a exposé que des études, des portraits et un paysage, est un peintre habile et exercé ; il a vu Rome et l’Orient, et c’est dans ces pays qu’il se plaît à choisir les sujets de ses tableaux. M. Stallaert a un talent de même ordre à peu près, il a de la noblesse et du style, et la Pénélope qu’il a mise au salon en est un témoignage. M. van Severdonck, auteur d’une Chute du Christ aussi remarquable par les qualités que par les défauts, a devant lui un bel avenir : son grand tableau de genre, Callot parmi les bohémiens, est composé avec goût, et le coloris en est agréable. M. Th. Canneel (de Gand) a tnnprunté au Cantique des Cantiques une Scène biblique qu’il a traduite avec élégance, encore qu’on lui puisse reprocher de trop rappeler, bien qu’il le sanctifie, le premier épisode de la Permission de dix heures. Enfin M. E. Slingeneyer, qui n’a pas exposé cette année, et M. Wappers, qui dirige l’école d’Anvers, sont connus par d’éclatans succès. M. Slingeneyer a plus de force, plus de style ; M. Wappers a plus de grâce et plus d’éclat : de lui, rien au salon non plus. Ces deux artistes se laissent trop oublier. Il faut encore citer, les uns pour les espérances qu’ils font concevoir, les autres pour