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un passé dont ils n’ont pas tenu les promesses, M. Carpey (de Liège), dont l’œuvre, le Premier damné de la foi chrétienne, fait pressentir un talent hardi et original ; M. J. Coomans (de Bruxelles), qui embrasse plus qu’il ne peut étreindre, comme le prouve sa grande toile la Prise de Jérusalem ; M. Lecat (de Tournay), dont la couleur étrange et fantastique n’empêche pas de distinguer un dessin élégant et expressif ; M. Manche (de Belœil), qui, plus bizarre encore, plus volontairement archaïste que le précédent, a fait une Vierge à l’Enfant plate et sans effet, mais d’un trait naïf, pur et plein de sentiment ; M. Eeckhout et van M. Eycken, à qui la critique fait cruellement expier les éloges exagérés qu’autrefois ils en ont reçus ; M. Navez, qui ne devrait plus exposer que des portraits, et pas même tous ceux qu’il fait ; enfin M. Roberti, supérieur à la plupart de ceux qui viennent d’être nommés, talent réel et presque mûr, mais inégal et capricieux, et aspirant parfois plus haut qu’il ne lui est donné d’atteindre. On ne saurait sans injustice oublier M. Wiertz dans cette nomenclature des peintres d’histoire de la Belgique. Par la pensée, M. Wiertz est le premier de tous. Si la place qu’occupe M. Gallait eût pu suffire à son ambition, il l’eût sans doute conquise ; mais son orgueil ne va pas à moins qu’à détrôner les maîtres de l’art, et parmi ceux-là Rubens, qu’il croit égaler sans craindre même de provoquer un dangereux parallèle. M. Wiertz est un homme à grandes conceptions. Malgré l’évident insuccès de ses efforts pour traduire sur la toile le beau qui remplit et obsède sa pensée, il faut admirer son talent, son orgueil et la lutte prodigieuse où il s’épuise et se consume. Peu d’hommes sont ainsi trempés, et beaucoup d’artistes du premier ordre envieraient à M. Wiertz des qualités qu’il dédaigne pour la poursuite désespérée d’un idéal inaccessible.

Passons aux peintres de genre. M. Leys, d’Anvers, est de tous le plus célèbre. En général, il traite des sujets insignifians, et l’expression morale, le trait caractéristique, sont la partie faible de son talent ; ses personnages ne rient ni ne pleurent, ils n’agissent point non plus, et dans ses compositions, qu’aucun sentiment, qu’aucune passion n’accidente ni ne vivifie, ils semblent n’exister qu’au même titre que les meubles, les tentures, les accessoires de toute sorte qu’avec un goût exquis sait disposer l’artiste. C’est donc par le procédé que brille M. Leys, en qui se personnifie bien cette école d’Anvers si brillante et si stérile ; c’est par ce procédé, porté par lui aux dernières limites de la perfection matérielle, c’est par une admirable entente des jeux et des combinaisons de la lumière, mais d’une lumière bizarre, étrange, pleine de reflets, de rayons brisés, de clair-obscur, de mystère, de fantaisie, d’imprévu, qu’il s’est fait une réputation européenne. On pourrait croire que, dénuée de pensée, d’observation, et se recommandant seulement par le mérite du procédé et de la vérité matérielle, la