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poules, de blé, de maïs, de fèves, le vendeur de sel, criaient, parlaient, se disputaient pour un sou; mais le plus affairé, celui dont on entendait toujours la voix et les lamentations, c’était encore le Juif. Comme partout intermédiaire des transactions, tour à tour il brocantait, vendait, volait. Le Juif est en Algérie le marchand de cotonnades, le fournisseur de poivre, de clous de girofle, de sucre et de café; il tient le noir d’antimoine dont les femmes s’entourent les yeux, la feuille de henné qui teint en rouge les ongles des élégantes; forgeron, il raccommode les armes; il est ressoudeur d’anneaux et fabricant de bijoux; c’est lui encore qui cisèle les plaques d’argent suspendues aux selles des chefs. Aucun commerce ne lui est étranger : le Juif rampe entre tous les gains. Vous le voyez se presser, s’agiter, tendant sans cesse sa main sale et avide, se querellant, rossé, malmené, revenant sans jamais se lasser, et, si la dispute est sérieuse, allant demander justice au cadi, dont le tribunal est toujours établi pour trancher les procès, couper court à toutes les difficultés. Le caïd, responsable de l’ordre dans le marché, se tient ordinairement près du cadi pour lui prêter main-forte, si besoin était; mais le respect de la décision rendue est si grand parmi ces hommes, que tous l’acceptent sans mot dire. L’instant d’auparavant, deux avocats du barreau auraient été battus en volubilité, en faconde, en exclamations : le cadi a prononcé, et les plaideurs s’éloignent sans murmurer.

Les premières heures passées, les transactions presque finies, le bourdonnement de tous ces discoureurs, qui de loin ressemblait au bruit de la mer, devenait plus fort. Les groupes se rapprochaient; chacun, libre des affaires, commentait et discutait, soit les actes de l’autorité que le crieur public venait de faire connaître, soit les chances de paix ou de guerre, la grande préoccupation de tons, ou bien encore les disputes de tribu à tribu et les querelles de particuliers. Les envoyés de l’émir, porteurs de paroles d’encouragement et d’espérance, se glissaient souvent parmi la foule qu’attirait chaque jeudi le marché du Khamis. Les frères des ordres religieux, qui se reconnaissaient à leurs signes mystérieux, échangeaient les messages confiés à leur fanatisme. Ces associations religieuses sont au nombre de sept en Algérie. Tandis que l’islamisme est venu de l’est, ces ordres, à l’exception d’un seul, ont pris naissance au Maroc; mais tous, quelles que soient les différences de leurs règles et de leurs tendances, ont une même origine : l’amour du merveilleux et l’enthousiasme de la foi religieuse, — traits communs à ces populations d’une nature parfois si diverse. Presque toujours le fondateur de l’ordre est visité en songe par un envoyé du prophète qui lui montre la voie dans laquelle il doit conduire ses fidèles. Au dire des récits populaires, la plupart de ces fondateurs d’ordres furent des gouths, c’est-à-dire des hommes