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puissans par la souffrance. De ces ordres religieux dépendent les zaouias, sorte d’écoles ou de monastères qu’entretiennent les donations pieuses et une dîme prélevée sur les fidèles. Les zaouias ne relèvent point toutes cependant des ordres religieux, il y en a de séculières, si l’on peut parler ainsi; mais, asiles inviolables, les zaouias, séculières ou religieuses, reçoivent les réfugiés, recueillent les infirmes, soignent les blessés. Dans toutes, on étudie les trois grands livres, fondement de la foi pour un bon musulman : le Koran, Sidi-Boukari et Sidi-Krelil[1].

Il est facile de comprendre combien sont dangereux les hommes des zaouias, réunissant le caractère de juge et d’homme de Dieu, ayant sous leur autorité une suite nombreuse d’affiliés prêts à exécuter leurs ordres. Aussi, dès que les circonstances semblaient favorables pour un soulèvement, ils se répandaient dans les marchés, ranimant les tièdes, exaltant les fanatiques. Cependant un de ces ordres religieux, celui en honneur dans les montagnes des Beni-Ouragh comme dans presque toute la province d’Oran, l’ordre de Mouley-Taieb, tout en conservant sa haine contre les chrétiens, minait sourdement la puissance de l’émir. Si-el-Aribi, de la race royale du Maroc, en était le chef; le fondateur, un de ses ancêtres, fit à ses disciples cette prédiction qui se transmet de bouche en bouche : « Vous dominerez un jour tous les pays de l’est, toute la contrée du royaume d’Alger vous appartiendra; mais, avant que cette parole s’accomplisse, il faut que cette contrée ait été possédée par les Beni-el-Cefeur (les enfans du jaune). — Ce sont les Français que les musulmans nomment ainsi. — Si vous vous en emparez maintenant, ils vous enlèveront votre conquête; mais si, au contraire, ils prennent ce pays les premiers, l’heure viendra où votre main brisera leur puissance. » Il ne faut point chercher d’autre origine à la confiance des Marocains lors de la bataille d’Isly. Tel est aussi le motif de l’opposition que les frères de Mouley-Taieb, sous l’influence

  1. Le Koran, composé avec les paroles inspirées au prophète Mohamed par l’ange Gabriel, est pour les musulmans le livre par excellence, le code complet qui renferme les devoirs de l’homme envers Dieu aussi bien que ceux de l’homme envers ses semblables. On y trouve à chaque ligne la haine du chrétien, l’exaltation de la mort glorieuse dans la lutte contre l’infidèle. L’œuvre la plus méritoire, a dit le prophète, c’est le pèlerinage à la Mecque; une seule chose est plus méritoire encore : — la mort dans la guerre sainte. Aussi, parmi les musulmans, l’image de la guerre se retrouve partout, et il n’y a pas de fête sans poudre, car le paradis est à l’ombre des glaives. — L’ouvrage de Sidi-Boukari, connu sous le nom de Paroles de notre seigneur Mohamed, renferme les discours et les proverbes prononcés par le prophète. Tout bon croyant le tient pour vrai: lorsque l’on cite Sidi-Boukari, on cite le prophète lui-même. Sidi-Krelil, commentateur, père de l’église en quelque sorte, explique les passages obscurs soit du Koran, soit de Sidi-Boukari. Son autorité fait foi et décide en matière religieuse. Aussi un homme de zaouia a-t-il toujours à la bouche une citation de Sidi-Krelil, de Sidi-Boukari ou du Koran, et, comme ce livre renferme la loi humaine, l’homme de zaouia rend la justice et réunit les deux influences.