Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/494

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son lit que j’ai vu au château d’Hardwicke! — ou bien élevant des oiseaux et essayant d’apprendre d’eux à être joyeuse dans la prison, ou bien s’étourdissant par la complication des intrigues que suscitait au dehors sa cause, et, dans l’intérieur de sa prison, sa trop dangereuse beauté! Que puis-je dire que tout le monde n’ait dit sur ce pathétique récit de la mort de Marie, écrit avec une émotion libre enfin de tous les scrupules de l’histoire? Certes, les yeux de M. Mignet ont dû se mouiller plus d’une fois en écrivant des pages que personne n’a pu lire sans larmes. Comment expliquer ou que tant d’admiration pour l’héroïsme simple et charmant de cette mort ne l’ait pas fait revenir de la sévérité de son verdict, ou que cette sévérité n’ait pas fermé son cœur à l’attendrissement qu’il éprouve et qu’il nous communique? C’est son second volume qui m’a donné des armes contre le premier. Mais je n’en veux pas dire plus. Si près de finir, je ne dois plus parler que de deux choses, les seules, les dernières dont je me souviendrai, — mortales postrema meminere, — la fin à jamais touchante de cette douloureuse vie et le talent supérieur qui vient de nous y faire assister.

L’effet général du livre de M. Mignet est hautement moral. Comme dans les tragédies de nos grands poètes, chaque faute y porte sa peine, et chaque personnage est puni à proportion de ses fautes. Pour ne parler que des principaux, Darnley, assassin de Riccio, meurt par la trahison dont il avait donné l’exemple; Bothwell, assassin de Darnley, languit quelques années dans une prison du Danemark, et meurt méprisé et non oublié; Marie, qui, pour parler comme Schiller, lui a donné son cœur et sa main, meurt, après dix-neuf ans de captivité, plus sûre de la pitié du monde que de son estime, et laissant plus de champions intéressés de son innocence que d’amis honnêtes qui y ont foi. L’exil ou l’échafaud décime ceux qui avaient décimé leurs ennemis par l’exil ou l’échafaud; personne n’échappe à cette première justice d’ici-bas, dont l’historien sait reconnaître les motifs dans nos fautes et les arrêts certains dans nos malheurs. Je me trompe : Elisabeth seule semble échapper à cette terrible loi du talion; mais voyez-la mourir, à soixante-douze ans, dans le ridicule d’un dernier amour et l’incommodité d’une dernière hypocrisie; ne voulant pas se mettre au lit, parce qu’une prophétie lui a prédit qu’elle mourrait dans un lit; à demi roulée sur des tapis, ni levée ni couchée; reculant le moment de désigner son successeur, comme si elle eût espéré par là reculer l’heure suprême; les doigts dans la bouche, comme pour retenir son ame au passage; les yeux ouverts et attachés sur le plancher; mourant sans grandeur et sans dignité, comme un avare vulgaire qui ne peut s’arracher à ses trésors! N’est-ce pas là un châtiment ? Et puis ne faut-il pas qu’il reste quelque chose pour la justice d’au-delà de cette vie?


NISARD.