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là beaucoup de cette habitude des fictions intimes, beaucoup de ce caprice d’artiste avec lequel tant de gens s’arrangent une existence et un caractère devant leur miroir? C’est une maladie de l’époque, et une maladie très commune; il serait à désirer que la contagion ne montât pas trop haut. Les grands rôles se font dans l’histoire sans qu’on y pense. Ceux auxquels on pense, ceux qu’on étudie d’avance pour les réciter au public comme à la lumière de la rampe, ce sont précisément ceux qui ne se font pas, ce sont les rôles impossibles, et la raison en est claire : ils naissent trop exclusivement du cerveau de leur auteur pour être amenés en même temps par les nécessités générales. Ainsi l’on voit comment le régime napoléonien, déjà si souvent transfiguré par les fausses poétiques, pourrait encore se transfigurer une fois de plus et prendre pour l’avenir, aux yeux d’esprits sans justesse, je ne sais quel aspect de dictature humanitaire. Ce qui est impossible, c’est que la dictature humanitaire soit de mise aujourd’hui, pas plus sous le nom de Napoléon que sous le nom d’un autre.

L’impossibilité d’une pareille attitude dans le gouvernement tient à deux causes : d’abord la maison où il loge est percée trop à jour pour qu’on ne découvre pas les petitesses entre lesquelles il fonctionne, et cette misère de sa condition présente n’a rien qui permette le prestige de la majesté dictatoriale. Puis l’instrument avec lequel on se proposerait de conquérir enfin ce prestige qui manque, l’instrument du suffrage universel, est une arme trop dangereuse pour qu’on la laisse sans précaution aux mains qui la veulent manier, ou pour qu’elle ne se retourne pas contre qui l’aura prise de travers. En d’autres termes, le côté sublime de l’entreprise, la mission sociale est compromise par les bavardages et les jalousies des subalternes; le côté positif, le procédé politique dont on attend une sorte d’investiture suprême, le retour plus ou moins direct, plus ou moins brusque au suffrage illimité, dépend, en droit comme en fait, du pouvoir législatif, qui a voté la loi du 31 mai, et qui la défendra tant qu’il aura lieu de soupçonner derrière l’agression qui la menace un coup de fortune ou de désespoir.

Nous n’avons aucun penchant à nous étendre sur le premier de ces deux points. Lors même que la politique est dans les commérages, nous ne consentons pas à prendre les commérages pour de la politique. On a pu voir, durant ces derniers jours, le terrible inconvénient qu’il y avait à trop multiplier ses confidences et à se partager trop entre les donneurs d’avis. Les conseillers éconduits se sont vengés en divulguant le peu de cas qu’ils faisaient de leurs collègues de la veille, les conseillers restés en faveur. Ils ont raconté l’histoire de tous ces pénibles enfantemens qui ont presque en pure perte éprouvé jusqu’ici la patience du président : l’enfantement du ministère, qui ne serait pas encore complet, s’il est vrai, comme on l’assure aujourd’hui, que le ministre de la justice récuse l’honneur du portefeuille; — l’enfantement du message, qui serait encore bien plus loin d’être au monde, s’il est vrai, comme on l’annonçait officiellement hier à la grande surprise des gens qui croyaient l’avoir lu, que la rédaction n’en est pas même commencée. Les crises ministérielles n’étaient pas seulement sous la monarchie moins arbitraires et moins inopinées, elles étaient aussi conduites plus décemment par ceux qui étaient obligés de s’en mêler. Il n’y avait pas à chaque combinaison avortée de ces