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personnages qu’on voit aujourd’hui crier sur les toits avec une mine à la fois épanouie et rageuse : L’enfant est mal venu; c’est bien fait, pourquoi n’ai-je pas été l’accoucheur?

Parlons sérieusement : le temps n’est point à la plaisanterie. Nous ne méconnaissons pas les motifs qui ont pu justifier aux yeux du président un si subit accès de tendresse pour le suffrage universel, et l’ont précipité parmi des embarras dont tout le monde est solidaire. Le président veut être prorogé dans l’exercice de ses pouvoirs; nous ne nous en plaignons que depuis qu’il veut aussi sacrifier si résolument à cette volonté fixe les seules garanties qui assurent encore l’existence d’un pouvoir quelconque. Le mérite qu’il était permis de trouver à une révision de l’article 45, c’était de contribuer à maintenir en vigueur les principes de la loi du 31 mai. Si c’est au contraire par le rappel de cette loi du 31 mai qu’on espère désormais parvenir à la révision de l’article 45, qu’est-ce à dire, sinon qu’on a changé de chemin, et qu’on ne s’adresse plus au même public, tout en demandant toujours la même chose? Nous déplorons cette insistance opiniâtre avec laquelle une fortune commencée dans le parti de l’ordre se poursuit ainsi sur des voies où ce parti ne saurait s’engager, parce que ce serait alors se livrer lui-même. Il n’y a guère d’ambitions qui nous étonnent à une époque où il n’en est pas qui ne soient extrêmes. Ce qui nous étonne pourtant, c’est que cette ambition, qui pouvait si noblement se couvrir en s’unissant, en s’identifiant avec l’intérêt d’un grand parti, se démasque sans plus de réserve pour donner des gages au parti contraire, et, sollicitant ainsi avec une égale indifférence d’un bord ou de l’autre, ne paraisse plus dorénavant solliciter qu’à son seul profit. La nouvelle peut-être prématurée d’une autre candidature princière a pu offusquer le prince Louis Bonaparte et troubler le calme habituel de ses déterminations : c’est l’excuse de l’homme privé, ce n’est pas le mobile raisonnable d’une conduite politique. Et il ne sert à rien de se récrier qu’on ne sortira pas de la politique d’ordre, qu’elle demeure la politique invariable : on n’est pas du parti de l’ordre parce qu’on veut l’avoir à soi; on en est parce qu’on se donne à lui. On n’en est pas quand on prétend lui rester fidèle, tout en quittant son champ-clos pour le service mal entendu d’une cause particulière. La société se divise à cette heure entre deux idées qui ne se réconcilieront pas : pour les uns, la qualité de citoyen est un droit naturel qu’il n’y a pas besoin de mériter; pour les autres, c’est une fonction dont il faut être capable. La loi du 31 mai a marqué le camp de ces derniers; la constitution de 1848 ouvrait aux premiers une pleine carrière. Il y a un abîme entre les deux doctrines, et peut-être un jour on l’antre guerre entre les deux drapeaux. La même main ne les tiendra jamais tous deux. Nous croyons cependant très volontiers que le président s’abuse par une illusion trop sincère; la magie de son nom, qui est la religion de son cœur, lui persuade qu’elle est celle de tous. Il est persuadé qu’il y ralliera les plus violens ennemis de la paix sociale, et que les défenseurs de la société ne s’en détacheront pas; nous voudrions que cette illusion se dissipât avant qu’elle eût coûté trop cher. Le président n’est-il pas informé jour par jour de l’état des factions et de leurs projets? En est-il encore à savoir l’effet produit par la seule nouvelle de la crise sur toute l’armée révolutionnaire, sur les apôtres et les acolytes de la propagande souterraine? La lui du 31 mai a moins été une mesure administrative qu’une