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elle. Entre autres fanfaronnades, il prétendait faire tirer à ses canonniers vingt coups dans une minute.

En somme, le matériel de l’armée persane a une apparence qui, à distance, satisfait l’œil ; mais il en est de cela comme de tout en Perse : quand on veut regarder de trop près ou analyser, on reconnaît tout de suite l’ignorance, l’incurie et une vanité si aveugle, qu’elle empêche les Persans de voir ou de s’avouer à eux-mêmes ce qui leur manque. Le premier ministre d’alors, vieux mollah entêté et parfaitement ignorant en fait d’art militaire, a beaucoup contribué au dépérissement de cette armée, et surtout de son artillerie. Hadji-Mirza-Hagassi avait la prétention d’être un savant artilleur. Il prit la haute main sur cette partie si importante de la force armée, et voulut diriger le matériel à sa guise. Il embaucha des Allemands et des Russes comme contre-maîtres dans l’arsenal de Téhéran ; mais ces ouvriers étaient loin d’être assez habiles pour donner une bonne direction aux travaux, — sans compter qu’ils étaient gênés par le premier ministre, qui leur imposait ses idées, ses caprices et les innovations les plus absurdes. De plus, ils étaient sans cesse en butte aux tracasseries des employés persans, jaloux de voir des Européens occuper à côté d’eux des positions supérieures. Peu à peu, les Européens se retirèrent, et, quand nous étions à Téhéran, l’arsenal était dirigé exclusivement par un Persan qui se croyait très savant, parce qu’il avait passé quelques mois en Angleterre. Cet arsenal était dans un très piteux état. Ce que les Persans connaissent le moins, c’est sans contredit la fabrication des canons ; ils sont en cela fort arriérés et d’une ignorance qu’ils ne soupçonnent malheureusement pas eux-mêmes. Leurs canons sont tous fondus à noyau, au lieu d’être forés, selon le système moderne. L’ame de leurs pièces, au lieu d’avoir cette précision et cette uniformité compacte qui en assure la solidité, est au contraire très irrégulière. Les parois intérieures sont très imparfaites, et il s’y forme presque toujours des chambres latérales qui font crever les canons après un très petit nombre de coups. On m’a assuré qu’à l’essai il y avait tout au plus une pièce sur dix qui résistait à l’épreuve, et que celle-ci, livrée à la troupe, ne pouvait servir que très peu de temps.

Indépendamment de ces vices fondamentaux et si préjudiciables, il y en a un autre non moins grave : c’est le manque de chariots ou de fourgons pour les munitions, qui sont toujours transportées à des de chameaux. Ces animaux ont le double inconvénient d’encombrer l’armée et de ne pas se prêter à la précision qu’exigent les mouvemens militaires. Quelque chose enfin de bien autrement sérieux encore nuit à l’efficacité de l’artillerie persane : on ne sait point en Perse faire de projectiles pour les armes à feu ; toute cette partie si importante du matériel de l’artillerie est tirée de l’étranger. Il n’y a pas jusqu’aux