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Brest ; le canal d’Ille-et-Rance s’enfonce au-dessous, dans une fraîche vallée. C’est ici le terme de la navigation maritime ; le port est le bief inférieur du canal, et les quais du modeste faubourg de Dinan ne sont pas, pour cela, plus encombrés.

S’il est en France une ville où se soient conservées les traditions et les empreintes du moyen-âge, c’est assurément celle de Dinan. Du Guesclin naquit dans le voisinage, au château de la Motte-Broons, et tout le pays est plein de sa mémoire : il n’est pas une place dans les environs qui ne soit marquée du souvenir d’une de ses batailles ou de ses bonnes actions. Il reprit, en 1373, la ville même sur les Anglais ; la place du Marché est le champ clos où, vainqueur de Thomas de Cantorbéry qui l’avait défié, il lui donna la vie. Il voulut à son lit de mort que son cœur reposât dans ces lieux qu’il avait aimés. La chapelle des dominicains de Dinan, qui en avait reçu le dépôt, ayant changé de destination, ces cendres vénérables ont été transférées le 9 juillet 1810, par ordre de Napoléon, dans l’église de Saint-Sauveur : la vieille inscription qui les recouvrait les a suivies ; on y lit :


CY GIST LE CUEUR DE
MESSIRE BERTRAN DU GUESCLIN
EN SON VIVAT CONESTABLE DE
FRACE QUI TRESPASSA LE XIII
JOUR DE JUILLET L’AN MIL IIIc
IIIIxx DONT SON CORPS REPOS
AVECQUES CEULX DES ROYS
A LA MET. DENYS EN FRANCE.


Le 6 août 1703, la populace de Paris a jeté à la voirie ce qui restait des ossemens de cet homme qui vendit ses biens pour payer son armée, auquel les faibles et les pauvres ne recoururent jamais en vain, et que les Anglais, disent les vieilles chroniques répétées par Mézeray, n’osaient regarder que par les créneaux de leurs murailles. Le bon connétable « n’estoit plaisant ni de visaige, ni de corsaige, ayant le visaige moult brun et le nez camus, et avec ce estoit rude de taille de corps, rude aussi en maintieng et en paroles, et se laissoit avec peine doctriner… » On dirait qu’un sentiment pieux a porté les habitans de Dinan à conserver à leur ville un aspect qui fût en harmonie avec la grande mémoire qu’ils vénèrent à si juste titre. Les vieux quartiers, avec leurs rues étroites, leurs rudes pentes, leurs sombres maisons à pignons, doivent ressembler beaucoup à ce qu’ils étaient du temps du connétable ; notre art moderne ne sait rien produire d’aussi pittoresque, et de prosaïques alignemens ne feraient que gâter cet ensemble, si plein du charme des souvenirs. Cet aspect sévère de l’intérieur de la ville contraste avec la fraîcheur et la gaieté du paysage qui l’environne. En