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l’émigration jusqu’à la restauration, est pour lui comme non-avenu. La république et l’empire n’ont jamais existé; il n’ajoute pas foi à de telles légendes. Il n’est pas impossible qu’un général nomme Bonaparte ait guerroyé pour le compte de sa majesté Louis XVIII; mais il n’est permis qu’aux roturiers de croire aux exploits du premier consul et de l’empereur. Que parlez-vous du renouvellement des lois, de la substitution d’un droit uniforme pour toutes les parties de la France aux coutumes provinciales? légende que tout cela! Confiscation des biens d’émigrés, vente de ces biens au profit du trésor public, conte digne tout au plus d’amuser les enfans! Le marquis de la Seiglière s’est endormi en quittant la France et ne s’est réveillé qu’au retour de ses rois légitimes. Austerlitz et Marengo sont pour lui des batailles au moins problématiques. L’abolition des privilèges, l’égalité devant la loi, sont des billevesées auxquelles il n’ajoute pas foi. N’essayez pas de lui démontrer que pendant son sommeil la France et l’Europe se sont renouvelées; il ne répondrait à vos affirmations, à vos argumens, que par un sourire d’incrédulité. C’est un enfant à cheveux blancs, et les enfans de cet âge sont d’une indocilité à toute épreuve. L’évidence ne dessille pas leurs yeux; fermement résolus à vivre et à mourir dans l’ignorance absolue de tout ce qu’ils n’ont pas vu, ils traitent de rêveurs tous ceux qui ne partagent pas leur respect inaltérable pour les vieilles institutions. Le marquis de la Seiglière a trouvé dans M. Sandeau un peintre habile et ingénieux. Aussi je ne m’étonne pas que le parterre l’ait accueilli comme une vieille connaissance.

Mlle de la Seiglière, grave et sérieuse, formée avant l’âge, instruite par les leçons de l’exil, est une figure pleine de grâce et de fraîcheur, et je dois ajouter que chez elle l’union de la raison et de l’ingénuité n’a rien d’artificiel. J’ai tout lieu de penser que cette figure charmante est dessinée d’après nature. Il y a dans la composition de ce caractère des traits que l’imagination la plus heureuse ne devine pas, et que l’observation peut seule fournir. Peu importe d’ailleurs. Copié ou deviné, pourvu que le personnage soit vrai, l’auteur n’a pas à rendre compte de ses procédés. Mlle de la Seiglière, malgré sa jeunesse, comprend très bien l’état réel de la France. Elle ne s’abuse pas sur la nature des institutions qui la régissent. Elle ne croit pas, comme son père, qu’il soit donne à la légitimité de ressusciter le passé. Sans connaître d’une façon précise le droit de Stamply sur le domaine de la Seiglière, elle devine cependant que le vieux fermier aurait pu ne pas faire ce qu’il a fait. Elle ne sait pas s’il a donné ou rendu le château. Quelque chose pourtant l’avertit que sa conduite n’est pas l’accomplissement d’un devoir rigoureux, et qu’elle lui doit de la reconnaissance. C’est que le cœur, comme l’intelligence, a sa pénétration, et la pénétration du cœur est souvent supérieure à celle de l’intelligence. Aussi Mlle de la Seiglière, qui certes n’a jamais lu le Code civil, qui ne connaît ni la manière d’acquérir, ni la manière de transmettre la propriété immobilière, comprend que son père est l’obligé du vieux Stamply. Mme de Vaubert, égoïste et rusée, s’applaudit fièrement d’avoir décidé le fermier du marquis à l’abandon de ses droits. Elle voit déjà son fils Raoul prendre possession du Château en mariant son blason au blason du marquis. Hélène sera la femme de Raoul, l’avenir se présente sous les plus riantes couleurs; mais la baronne de Vaubert a compté sans Destournelles, qui n’a pas craint, malgré sa roture, de jeter les