Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/784

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On pouvait craindre que M. Sandeau, habitué à déduire patiemment sa pensée, ne transportât dans le dialogue de ses personnages quelques-unes des locutions qui conviennent au récit, et dont le théâtre ne saurait s’accommoder. Heureusement, cette crainte s’est bientôt évanouie. Le premier acte n’était pas achevé, que déjà nous savions à quoi nous en tenir. L’habile romancier dont les fables ingénieuses nous ont si souvent émus, qui a mis tant de vérité dans la peinture des passions, tant d’élégance et de sincérité dans l’expression des regrets, s’est mis à parler sans efforts, sans contrainte, la langue dramatique. Le dialogue, vif, rapide, bien coupé, ferait honneur aux écrivains les plus expérimentés dans ce genre d’escrime. La langue, pure et limpide, n’est pas celle que nous entendons chaque soir. Il faut bien le reconnaître, bien des gens croient encore que le style n’est pas de mise au théâtre. Non-seulement ils s’imaginent de bonne foi que le style est parfaitement inutile dans une composition dramatique, non-seulement ils le proscrivent comme un hors-d’œuvre, mais ils pensent que ce hors-d’œuvre est dangereux. Bonnes gens qui confondent l’afféterie et l’élégance, et qui ne comprennent pas que le style et l’afféterie n’ont rien à démêler ensemble! M. Sandeau s’est chargé de les édifier à cet égard. Le style de sa comédie, précis, pur, élégant comme le style de ses livres, n’a jamais rien de traînant. Il a eu le bon sens et le bon goût de ne pas prodiguer les images. Il a compris que les personnages placés devant le spectateur ne peuvent pas, ne doivent pas parler comme les personnages dont le lecteur suit à loisir la pensée. C’est de sa part une preuve de sagacité dont je lui sais bon gré.

Le dénoûment heureux de cette comédie, bien que facile à prévoir pour les esprits exercés, est cependant précédé de péripéties assez nombreuses. La part faite à la curiosité, à l’incertitude, est bien celle que prescrivent les lois du théâtre. La lutte engagée entre Destournelles et Mme de Vaubert captive l’attention, et la foule n’est pas sans inquiétude sur le sort d’Hélène et de Bernard. La scène du mutuel aveu est une des plus charmantes qui se puissent imaginer. Il y a dans ce dialogue ingénu et passionné un parfum de jeunesse qui enivre. C’est à coup sûr une des parties les plus délicates, les plus exquises de la comédie nouvelle. Aussi je ne m’étonne pas que cette scène ait provoqué des applaudissemens unanimes. Autant le marquis de la Seiglière nous réjouit par ses enfantillages, autant Hélène et Bernard nous émeuvent, nous attendrissent par leur candeur et leur franchise.

Ou je m’abuse étrangement, ou c’est par cet heureux mélange de ridicule et de passion qu’il faut expliquer le succès de la comédie nouvelle. Le ridicule sans la passion, la passion sans le ridicule n’aurait pas réuni de si nombreux suffrages. Bien que la comédie ne soit pas obligée de nous attendrir, bien que le rire soit son domaine, les spectateurs ne dédaignent pas une sorte de gaieté attendrie, et M. Sandeau possède le secret de cette gaieté.

Ainsi le succès de cette comédie est parfaitement légitime, et je souhaite que l’accueil fait à Mademoiselle de la Seiglière encourage l’auteur à persévérer dans la voie nouvelle où il vient d’entrer. On ne dira plus que les romanciers sont incapables d’écrire pour le théâtre. Le charme est rompu. Voici en effet un écrivain dont les récits nous ont charmés depuis douze ans qui entre en lice, et dont les premiers pas sont des pas victorieux. C’est un heureux présage que