Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/805

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

confondent dans le lointain, et les blanches murailles de Caza-Branca. C’est au sommet de cette colline, alors solitaire et sauvage, que l’auteur des Lusiades venait, dit-on, méditer et se recueillir. Les rochers consacrés par la tradition, et dont un soin importun a défiguré la sévère simplicité, n’ont gardé cependant aucune empreinte de ce poétique passage. Le silence même, le silence si cher au poète, n’habite plus cet asile. L’écho, qui ne s’éveillait autrefois que pour redire les strophes immortelles, est sans cesse troublé aujourd’hui par l’aigre répercussion des pétards. Il n’est pas de peuple au monde dont la gaieté ou la dévotion soient plus bruyantes que celles des Chinois, Qu’une jonque déployant ses lourdes voiles et prête à sortir du port veuille invoquer la protection de la vierge Kouan-yn, qu’un joyeux ou lugubre cortège circule dans les rues, et soudain, aux éclats retentissans du gong, vous entendrez se mêler le pétillement des longs chapelets d’artifices que la main d’un enfant tient suspendus à l’extrémité d’un bambou. Ces incessantes détonations vous poursuivront jusqu’au fond des plus secrètes retraites et viendront vous arracher brusquement à vos méditations ou à vos rêveries.

Il faut en convenir d’ailleurs, si les Chinois ne se chargeaient d’égayer par leurs cris, par leurs salves, par le fracas de l’airain sonore, la taciturnité de la cité portugaise, on pourrait se croire dans une ville abandonnée ou tombée en léthargie. Les cinq mille habitans qui composent la population chrétienne de Macao sont aussi sédentaires, mais plus silencieux que le grillon du foyer. Les femmes ne quittent leurs appartemens que pour aller visiter les églises. On soupçonnerait à peine leur existence, si les jours de fête on ne les voyait apparaître en longues files indolentes, traînant sur le pavé leurs pantoufles de maroquin et voilant à demi leurs figures blafardes sous les plis de la capa nationale. La blanche laine du voile encadre comme un linceul ces traits quelquefois gracieux et réguliers, mais toujours immobiles. Il semble que le mélange des races, la langueur du climat, ou peut-être une constante réclusion ait engourdi la circulation du sang dans ces veines glacées et sous ce tissu morbide. Les hommes ont renoncé à lutter contre l’active industrie des Chinois et se résignent à une existence misérable et précaire pour ne pas affronter cette redoutable concurrence. Des familles entières vivent de l’agiotage de quelques caisses d’opium; la plupart ne connaissent d’autres ressources que l’inépuisable charité de certains négocians portugais. Il y a peu d’années encore, ces descendans dégénérés des Perez de Andrade et des Antonio de Faria jouissaient si humblement de leur droit de cité, ils se courbaient si bas sous la main de l’autorité chinoise, que, si la métropole les eût abandonnés à eux-mêmes, on les eût vus peut-être, acceptant un joug devenu inévitable, se confondre insensiblement avec les sujets du