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seule vallée qui existât dans l’île, un vaste édifice semblait protester par son isolement contre la position assignée à la ville nouvelle. C’est là qu’une de ces familles princières de marchands qui rappellent encore l’opulente aristocratie de Venise ou de Gènes, les Jardine et les Matheson entreprirent de bâtir une ville à part, ville qui prit le nom de ses fondateurs, pendant que la cité commune recevait le nom de la reine. Celle-ci, au lieu d’aller rejoindre la ville des Matheson, tendit plutôt à se concentrer en gravissant les hauteurs. On avait une si grande confiance dans l’avenir de Hong-kong, que la concurrence s’arracha ces lots de terrain scabreux et en fit monter l’adjudication à des taux énormes. La situation géographique de la colonie pouvait d’ailleurs expliquer cet enthousiasme. Placée à l’entrée du canal des Lemma, à soixante-dix milles de Canton, Hong-kong commande complètement l’embouchure du Chou-kiang. Le détroit sinueux qui circule entre l’île et la terre ferme offre aux navires mouillés sur la rade une issue vers la haute mer et deux débouchés vers le fleuve. Le gouvernement de la reine ne pouvait choisir une meilleure position militaire; ce n’est pas de ce côté que vinrent les déceptions; mais on avait cru que le centre des affaires ne tarderait point à se déplacer et que l’influence des capitaux anglais attirerait forcément le mouvement commercial à Hong-kong : il fallut renoncer à cet espoir. Aucun Chinois respectable ne voulut transporter sa famille, ses magasins, ses manufactures sur le territoire britannique. L’appât d’une absolue liberté ne séduisit que la lie de la population chinoise, et les affaires se firent, comme par le passé, à Canton.

Ce désappointement ne fut pas pour la colonie l’épreuve la plus cruelle. La ville de Victoria, bâtie sur la côte septentrionale de Hong-kong, se trouve par sa position abritée des vents du large, qui, pendant la mousson de sud-ouest, purifient la péninsule de Macao. Les miasmes qu’y développent les chaleurs de l’été y restent concentrés et vicient l’atmosphère. Aussi, dès qu’on fouilla le sol, les fièvres typhoïdes vinrent-elles répandre le deuil dans la colonie : la mortalité fut affreuse, et la consternation générale. L’hiver cependant ranima les courages. Il n’est guère de colonie anglaise qui ne se soit fondée au prix de grands sacrifices, et la persévérance est une vertu essentiellement britannique. On ne se dissimula point qu’il faudrait probablement payer un nouveau tribut à la mousson prochaine; mais on espéra diminuer, par de sages précautions, l’intensité du fléau. Pour atteindre ce but, le gouvernement et les particuliers unirent leurs efforts : des hôpitaux flot- tans furent établis sur la rade, des fondrières furent comblées, des terrains marécageux desséchés; l’eau des ravins, contenue par des digues, ne vint plus inonder la ville basse, et s’écoula entre deux murailles